Baudelaire : le précurseur de la modernité poétique
Charles Baudelaire est un auteur majeur de la littérature française considéré comme le précurseur de la modernité poétique.
Son œuvre est fascinante car elle se situe au carrefour de toutes les influences du 19ème siècle : héritier du romantisme et du Parnasse, la poésie de Baudelaire annonce déjà le symbolisme (avec la théorie des correspondances notamment).
Son recueil le plus célèbre, Les Fleurs du Mal, montre un poète tiraillé entre le spleen et l’idéal, le mal et le bien, la laideur et la beauté.
Ce recueil a choqué la bourgeoisie bien-pensante de l’époque pour sa volonté de mêler le beau et le sordide, le bien et le mal. 1857
Autre apport majeur de Baudelaire à la littérature française : le poète libère la poésie des contraintes du vers et de la rime en publiant un recueil de poèmes en prose : Le spleen de Paris.
Cette nouvelle forme poétique au XIXème siècle prépare d’autres formes poétiques à venir comme le vers libre. ( source : commentairecomposé.fr)
Biographie
Né en 1821, orphelin de père à l’âge de 6 ans, Charles Baudelaire est un enfant difficile qui ne supporte pas le nouvel époux de sa mère, le commandant Aupick.
Une fois le baccalauréat en poche, le jeune Baudelaire mène une vie dissipée dans le quartier latin (Paris).
Pour l’arracher à cette vie de débauche, sa famille l’oblige à faire un voyage aux Indes en paquebot. Mais Baudelaire s’arrête sur l’île Bourbon (l’île de la Réunion) et rentre à Paris au bout de dix mois.
Ce voyage influencera ses écrits dans lesquels les thèmes de l’ailleurs et de l’exotisme sont très présents (par exemple « La chevelure » ou Parfum exotique »)
A son retour, Baudelaire rencontre Jeanne Duval et dilapide son argent en menant une vie de dandy à Paris.
Alarmée, sa famille le fait mettre sous tutelle pour ne lui donner chaque mois qu’une « pension raisonnable« .
Pour subvenir à ses besoins, Baudelaire n’a alors d’autres choix que de travailler : il se lance dans la critique d’art et la critique littéraire et fréquente les salons littéraires, dont celui de Mme Sabatier dont il s’éprend en 1852. (Salons) Il traduit également Edgar Poe dont les écrits morbides le fascinent et l’influenceront.
Baudelaire publie Les Fleurs du Mal en 1857, à l’âge de 36 ans, mais son recueil fait l’objet d’un procès et Baudelaire est condamné en correctionnelle pour « immoralité » . Il est contraint de payer une amende et retirer six pièces de son recueil. Les épaves
Atteint de la syphilis, Baudelaire souffre et abuse des drogues comme l’opium et le haschisch. Il s’isole et meurt en 1867 à l’âge de 46 ans.
Les œuvres majeures de Baudelaire
◊ Les Fleurs du Mal (1857)
Les Fleurs du Mal est un recueil de poèmes qui retrace le trajet de l’âme de Baudelaire qui vit une descente aux enfers.
Le recueil est divisé en six sections : spleen et idéal, tableaux parisiens, Fleurs du Mal, Révolte, le Vin, la Mort.
La première section, « Spleen et Idéal », est de loin la plus longue du recueil.
Elle développe l’idée du spleen, malaise existentiel qui accable le poète.
Au dégoût, à la laideur et au désespoir s’oppose l’Idéal, c’est à dire la beauté, les sensations, l’évasion.
Le poète est écartelé entre spleen et idéal, entre Dieu et Satan.
Paru en 1857, ce recueil connait un destin difficile. En effet, Baudelaire est condamné en correctionnelle pour « outrage à la moralité publique », et se voit contraint de supprimer six pièces des Fleurs du Mal et de payer une amende de trois cents francs.
Le « scandale » des Fleurs du Mal ne réside pas uniquement dans les six poèmes érotiques que Baudelaire a été contraint de supprimer. Ce qui a choqué les bonnes mœurs de l’époque, c’est la volonté de Baudelaire de mêler le beau et le sordide, la sensualité et la mort (voir par exemple les poèmes « Charogne » ou « Le Vampire » ).
Ce n’est qu’en 1949 que la Cour de cassation réhabilite Baudelaire et autorise la publication des six pièces condamnées en 1857.
◊ Les paradis artificiels (1860)
Contrairement à une idée reçue, Les paradis artificiels n’est pas un éloge de la drogue.
C’est un essai dans lequel Baudelaire réfléchit aux effets du haschich et de l’opium sur l’artiste.
La conclusion de Baudelaire est que ces drogues sont néfastes pour la création artistique.
◊ Le spleen de Paris (« Petits poèmes en prose » ) (1869)
Le Spleen de Paris est un recueil de 50 « petits poèmes en prose » publié à titre posthume (c’est à dire après la mort de Baudelaire) en 1869. La plupart de ces poèmes avaient toutefois été publiés dans des journaux entre 1855 et 1864.
Ce recueil est résolument moderne : Baudelaire s’est défait des contraintes du vers et de la rime pour présenter une forme poétique nouvelle. Son sujet est également moderne : la ville.
Quels sont les thèmes de prédilection de Baudelaire ?
Les paradis perdus :
Baudelaire est constamment à la recherche des paradis perdus : l’enfance, l’ailleurs exotique, le voyage, l’ivresse.
Le spleen :
Le spleen est le mal-être baudelairien. Il s’agit d’un état dépressif et morbide ressenti par le poète.
La femme et l’amour :
La femme aimée est une inspiratrice pour Baudelaire, une muse. Il sublime dans Les Fleurs du Mal les trois femmes de sa vie (Jeanne Duval, Marie Daubrun, Mme Sabatier). La femme offre un visage multiple : mère, amante, déesse, diablesse.
La ville :
Baudelaire est fasciné par la ville et l’expérience de la solitude dans la multitude. La ville est le sujet de la section « Tableaux parisiens » des Fleurs du Mal mais aussi du recueil Le Spleen de Paris.
A quel mouvement littéraire appartient Baudelaire ?
Baudelaire est un auteur qui se situe à la croisée de plusieurs mouvements littéraires.
Aux romantiques, il emprunte le lyrisme et la figure du poète incompris (voir « L’albatros » ).
Proche de Théophile Gautier, il est influencé par la rigueur de l’écriture parnassienne.
Sa tension entre le visible et l’invisible, le spleen et l’Idéal et sa théorie des correspondances préfigurent les poètes symbolistes. Correspondances.
Pourquoi étudier Baudelaire ?
Charles Baudelaire est le précurseur de la modernité en poésie.
D’un point de vue formel, il rompt avec la poésie traditionnelle en jouant avec l’alexandrin (nombreux enjambements, rejets et contre-rejets qui déstructurent les vers classiques) et en initiant la poésie en prose.
Sur le fond, Baudelaire affirme une sensibilité moderne : il s’intéresse à la ville, au bizarre, à la laideur, au mal. Les petites vieilles, le jeu.
Il met aussi en place la théorie des correspondances selon laquelle des liens mystérieux existent entre le monde visible et invisible et entre tous les sens (les synesthésies). Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Correspondances
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Charles Baudelaire
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
Réviser le vocabulaire : hémistiche, sonnet, quatrain, tercet, césure, enjambement etc.
Texte 1 :
Explication linéaire : la muse malade.
Ô muse de mon cœur,//
amante des palais, o muse quand il fera froid, auras tu un feu pour te
réchauffer
Ranimeras-tu donc // tes épaules marbrées pourras tu faire de la poésie, alors que tu souffres
Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas |
|
1. quelle relation le poète entretient-il avec sa muse ?
2. ou : quelle image de la muse poétique apparaît ici ?
L’amour déclaré du premier hémistiche est déçu dès le deuxième ( par le chiasme), « muse de mon cœur / amante des palais », qui dit un amour non réciproque. Le poète aime la muse qui aime…les palais ! Au « cœur », métonymie du sentiment, du lyrisme, Baudelaire oppose « des palais », pluriel qui recouvre une réalité prosaïque. Au désir amoureux, est substitué celui de la possession matérielle. Le premier vers construit donc :
o une impossibilité de dialogue entre le poète et sa muse.
o une figure de la muse peu conventionnelle : une femme qui aime le luxe plus que celui qu’elle doit inspirer.
Il y a donc un l’écart du poète avec la norme, la convention,
1. . On peut ainsi remarquer que :le rapport à la muse semble inversé : c’est le poète qui s’inquiète de ce qu’elle va devenir et non l’inverse (on attendrait d’une muse qu’elle soit protectrice) : questions / verbes au futur qui expriment l’inquiétude de son avenir / verbes prosaïques (« auras-tu / « récolteras-tu ») ou aux sonorités dures (allitération en R : « ranimeras-tu »)
2. Baudelaire oscille, hésite entre une représentation conventionnelle et une représentation dégradée. On l’a constaté dès le
premier vers dont les 2 hémistiches donnent à voir les deux images. Cela se poursuit ensuite :
Quatrain 1
· La subordonnée de temps (quand Janvier lâchera ses Borées ») est une périphrase poétique pour désigner l’hiver. Le mois est allégorisé, et Baudelaire se réfère à la mythologie, avec les « Borées ». Le ton est donc précieux et conforme à une poésie classique.
· On retrouve ce principe dans le complément circonstanciel du vers suivant, vers particulièrement travaillé, « Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées » : antithèse noir / neigeuse ; allitération en (N), antéposition précieuse des 2 adjectifs.
Ainsi, les circonstances créent un univers plutôt conventionnel sur le plan poétique.
· Cependant, ce caractère conventionnel est déjoué au dernier vers du quatrain : l’enjambement qui a suspendu le moment de découvrir le COD de « auras-tu » suscite un effet déceptif au regard de la pompe des vers 2 et 3. Il s’agit en effet d’avoir… « un tison pour chauffer tes deux pieds violets » ! Tout ici exprime le prosaïsme ( terre à terre, concrêt, pas lyrique) : le « tison » (Baudelaire aurait pu préférer « âtre » ou « foyer »), « chauffer » plus prosaïque que « réchauffer », « pieds » dont le prosaïsme est accentué par la cheville « deux », enfin « violets » qui fait référence explicitement à la couleur bleutée d’une peau qui a froid. L’image de la muse est donc celle d’une femme seule, auprès du feu (« Quand vous serez bien vieille… »)
· On peut alors se demander si la dégradation opérée dans ce dernier vers n’était pas à l’œuvre dans les deux précédents : de fait, l’accumulation des effets poétiques classiques notés plus haut est suspecte. Comme souvent, chez Baudelaire, cette surenchère ( borée, muse de mon cœur) est signe d’ironie. Ainsi, le poète se moquerait-il d’une certaine emphase poétique, il l’imiterait, la parodierait pour mieux faire ressortir, par contraste, la misère de sa propre muse. De fait, si on suit cette piste métatextuelle, ( mise en en abyme) on se rend compte que les « pieds » peuvent aussi désigner les syllabes en poésie. Dans ce cas, la muse a les pieds…glacés, autant dire que sa poésie est figée, paralysée. La diérèse sur « vi-olets » fonctionne comme un signal. Et il est permis d’entendre aussi le mot « laid ». On peut même aller jusqu’à se demander si le système des rimes dans ce premier quatrain : abba (é/è) ne conforte pas cette hypothèse. La différence entre le (é) fermé et le (è) ouvert fait entendre à la lecture une presque platitude, en tout cas oblige à une application dérisoire.
Quatrain 2 : il est facile de constater que la dégradation de la muse se poursuit dans le quatrain suivant à travers deux détails de son corps (les épaules, le palais)
· Les « épaules marbrées » peuvent avoir 2 explications : soit la muse a froid, soit elle est frappée, maltraitée, sa peau ayant des ecchymoses, des bleus. On peut faire entendre, dans ce vers, l’allitération en (R), et la présence de l’occlusive (K) à la césure (« donc ») qui créent une sonorité assez dure, peu harmonieuse.
· Le complément de moyen qui suit (vers 6) suit, selon le modèle des vers 2 et 3 du quatrain 1 une forme recherchée : antéposition précieuse de l’adjectif (« nocturnes rayons »), métaphore du halo de la lune capable de « percer » (passer à travers ? blesser ?) les « volets ». On l’aura compris, ces accents poétiques (selon le modèle conventionnel de l’écriture poétique) font contraste avec le reste du quatrain (comme c’était le cas dans le quatrain 1 pour les vers 2 et 3), prosaïque. Cette image peut être rapprochée de « Tristesse de la lune » où la lune (muse ?) est métaphorisée en une femme lascive, ou des « Bienfaits de la lune » dans les Petits Poèmes en prose. Disons que cette présence lunaire est riche de sens : elle place la muse du côté des femmes lascives, quelque peu maléfiques, lunatiques. L’astre baudelairien est plus la lune que le soleil…
· La dégradation se poursuit aux vers 7 et 8 :
o d’abord dans le choix de sonorités peu euphoniques : allitération en (S) trop rapprochées, (K) à la césure (qui fait écho au « donc » du vers 5), succession de (T) et (K) dans le 2ème hémistiche. Reprise de l’allitération en (R) dans le vers 8, appuyée par le mot « or » à la césure.
o Ensuite par le sens : la muse est pauvre, l’expression pour le dire est familière (« à sec ») et permet le jeu de mots suggéré par le 2ème hémistiche : le « palais » désigne évidemment ici l’intérieur de la bouche, la muse a donc aussi soif ! elle a la bouche sèche. On comprend qu’elle souhaite boire…, dans ce contexte, de l’alcool. On peut mesurer la dégradation entre le « palais » du vers 1 et celui-ci…
o Dans ce contexte, le vers 8 fait contraste sur le plan des sonorités et de l’écriture (par un jeu d’oscillation qu’on a désormais bien compris) : les « voûtes azurées » sont une périphrase précieuse pour désigner le ciel étoilé. Les sonorités en (Z) contrastent aussi avec celles en (R) ou (K) qui précèdent. Baudelaire, potentiellement, est ici ironique.
o En revanche, il ne fait pas contraste sur le plan du sens ! La muse est ici, soit une mendiante qui reçoit des pièces providentielles…, soit une …prostituée (ce qui expliquerait la femme frappée du vers 5 et donnerait peut-être un autre sens à « violets », celui de violée).
L’étude linéaire des 2 quatrains peut donner lieu à un petit écrit de travail pour s’assurer que l’enjeu est compris : cela peut prendre :La liste des effets qu’ils aimeraient faire
entendre à la lecture à voix haute ET la lecture à voix haute.
o Proposition de synthèse :
Au terme de l’étude des deux quatrains (et pour répondre aux deux pistes proposées plus haut), on constate combien Baudelaire entretient avec sa Muse un rapport peu ordinaire : on avait vu
qu’il la protégeait, se souciait de son avenir, mais après étude plus précise, on comprend qu’il a à son égard des sentiments ambivalents : il semble la prendre en pitié, mais également la
railler. Dans tous les cas, il n’est pas vraiment tendre avec elle. Par ailleurs, on a mesuré combien cette figure poétique était ici dégradée : plus rien de reste de la muse antique ou
romantique. La muse baudelairienne est une femme noyée de préoccupations matérielles (ne pas mourir de froid, boire, avoir de l’argent), et potentiellement, une prostituée.
Comment représente-t-on la muse ? Une femme pauvre, sans doute, frappée, maltraitée, qui rêve de richesses….mais qui en
gagne aussi : « je récolte l’or des voûtes azurées » peut désigner les étoiles, mais aussi plus prosaïquement, l’argent providentiel (tombant du ciel…) : on peut alors jusqu’à
faire mesurer l’ironie de la métaphore, à la fois poétique, dessinant l’horizon d’un idéal et prosaïque (il s’agit bien de « récolter »). Dans cette perspective, les sonorités en (Z)
sont à la fois poétiques et surjouées et s’opposent au (R) plus dur de « récolter » (l’ordre réel de la phrase, qui sera dévoilé plus tard accentue d’ailleurs cet effet par l’usage du
futur : « récolteras ».
Iront-ils alors jusqu’à la mendiante ? sans doute. La prostituée ? peut-être…s’ils font le lien entre les épaules marbrées (par le froid ou les coups) et le double sens de
« violets » (violées) (il sera aisé ensuite lorsqu’on donnera les quatrains dans leur totalité, de faire percevoir la diérèse qui insiste sur ce mot, comme un signal pour le lecteur
d’un sens caché possible.
Découverte des deux derniers tercets.
· 1ère découverte dès le 1er tercet : la muse ne répond pas, comme en témoigne l’énonciation : « il te faut »…le poète reprend le tutoiement, et file la thématique de la pauvreté :
o « pour gagner ton pain de chaque soir ». Il s’agit bien cette fois de manger (on a eu plus tôt le froid, la soif)
o La muse est donc condamnée à la nécessité (c’est le sens de la forme impersonnelle « il te faut ») de s’adonner à des gagne-pain (au sens propre) : tous sont rattachés à l’univers religieux (qu’on avait déjà, détourné, dans la formule gagner ton pain de chaque soir et non quotidien)
o La comparaison avec « l’enfant de chœur »
o La référence à « l’encensoir » ou aux cantiques (te deum) : champ lexical de la religion
o Mais ces références religieuses, reste d’une représentation sacralisée de la muse, sont ici ironiques : « jouer de l’encensoir » est presque oxymorique et peut faire penser au balancement des hanches de la prostituée qui, chaque soir, doit appâter le client ; de même, le vers 11 est-il construit de façon antithétique (« chanter de Te Deum auxquels tu ne crois guères »). La foi est feinte, les cantiques de louanges ne sont que stratégie. Si on file la métaphore de la prostituée, cela ferait référence aux flatteries pour appeler le passant.
A ce stade de l’explication, on peut demander aux élèves ce qu’il leur paraîtrait essentiel de faire entendre à la lecture à voix haute. On peut les guider vers l’expression de cette tension entre image traditionnelle, sacralisée et image désacralisée :
v. Le rythme du vers 7 exprime une certaine lassitude (3 + 5 +4)
v. La césure des vers 8 et 9 est très marquée et oppose le sacré et le profane.
v. L’ironie est peut-être perceptible dans les sonorités peu euphoniques « chanter des te Deum » (TDTD)
v. Enfin la rime du vers 9, avec son (è) ouvert manque d’élégance, d’autant plus qu’elle est précédée du verbe « crois », qui fait entendre un croassement qui n’a rien de musical.
Toute la strophe fait donc entendre une disharmonie, que la lecture peut mettre en évidence.
· Le deuxième tercet propose un léger glissement dans la représentation de la Muse puisqu’on passe du féminin explicite des deux premiers quatrains au masculin : « saltimbanque ». Au passage, on peut remarquer que le premier tercet restait neutre et ne levait pas l’ambiguïté du masculin ou du féminin. D’aucuns pourront cependant dire que la comparaison avec « l’enfant de chœur » opérait un premier changement.
La découverte est capitale : au fond …à qui parle le poète ? Sans doute à lui-même ! Ainsi, la figure de la Muse n’est-elle qu’un artifice emprunté au bric-à-brac poétique pour mettre en scène une introspection du poète sur lui-même. Or, comment se voit-il pour finir ?
o « saltimbanque à jeun » : le mot est polysémique puisqu’il désigne tout aussi bien un comédien, un marchand ambulant, un acrobate qu’un un orateur (mauvais) ou même un clown, chargés d’amuser les foules sur les places publiques Etymologiquement, c’est celui qui saute sur les estrades. Or, on entend le saut, dans la construction rythmique du vers (1+5), et on peut lire la référence à l’estrade théâtrale dans l’exhibition suggérée dans le deuxième hémistiche : « étaler tes appas ». Par cette locution verbale, le saltimbanque rejoint d’ailleurs la prostituée par une sorte d’hypallage. Les appas (que Baudelaire choisit d’orthographier appas c’est-à-dire selon une graphie recherchée et vieillie, et non appâts ) désignent en effet ce qui excite le désir, la cupidité. On voit mal un saltimbanque étaler ses appas.
Le dialogue romantique du poète et de sa muse est donc ici dévoyé (on peut penser à Musset dans ses Nuits). Qu’on imagine que la Muse existe et se tait, ou bien qu’elle n’existe pas et que le poète
dialogue avec lui-même importe peu, au fond.
Fiche de révisions
Baudelaire, les fleurs du mal. Explication linéaire : la muse malade.
Intro : cf cours
Section : spleen et idéal
Idée générale du sonnet : Est-ce possible encore de créer quand on souffre de pauvreté ?
Composition : Partie I ( les deux quatrains) : les souffrances de la muse pauvre pendant l’hiver
Partie II ( les deux tercets) : un art dégradant
Problématique : comment est mise en scène dans ce poème la situation du poète maudit ?
Ou quelle est l’originalité pour le poète de parler de sa création à travers la figure d’une muse ?
Ô muse de mon cœur, amante des palais, : allitération en « m », non réciprocité attachement,
vénalité ? la muse est plus intéressée par la richesse que par le poète.
Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées, : inversion c’est lui qui s’inquiète, périphrase précieuse, violence du verbe, insolite
Durant les noirs ennuis des
neigeuses soirées, syllepse : durant les soirées enneigées où l’on s’ennuie : ce sont deux compléments de temps
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ? : arrive le COD du verbe du vers 1,
synecdoque ( la partie pour le tout) , hypotypose ( focalisation sur une image forte) , diérèse ( violets ? pied ? ). L’unique tison pour deux
pieds, dérisoire, et contraste avec la richesse du palais désiré.
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées : autre synecdoque et hypotypose : épaules marbrées : colorées par le
froid, elle qui voulait des palais elle devient palais.
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ? effets
de lumières et de raccords de couleur. Synesthesie froid/couleur violette. Léger effet d’oxymore dans nocturne rayons : clair-obscur
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais, métonymie pour exprimer la pauvreté : parallélisme « autant que »montre
que pauvreté totale. Homonymie ironique : de la richesse du palais à la pauvreté du palais buccal
Récolteras-tu l’or des voûtes azurées ? périphrase précieuse et lyrique pour désigner le ciel, retour de l’interrogation du premier quatrain : est-ce possible encore de créer quand on souffre de pauvreté :
déplace sur qqn d’autre ses inquiétudes. Changer la boue en or : la poésie chez Baudelaire est vue comme une alchimie. : il faut tout changer en or.
Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir, , inversion prière chrétienne : insiste sur la difficulté de manger
à sa faim
Comme un enfant de chœur, jouer de l’encensoir, qui s’inverse ensuite dans ce vers : car il n’y croit plus : dieu n’est pas avec les artistes, ou les
chrétiens ne sont pas bien charitables
Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère, des messes de louange :
on voit que la société impose une spiritualité de façade, or, le poète, lui recherche une autre forme d’idéal
Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas : mise en place dans ce dernier tercet d’une contradiction entre la triste misère et le spectacle mensonger de la
joie, imposé par le désir d’un public frivole de se divertir, assonance en « a « qui peut mimer la lourdeur du discours lancé à tout va. L’allitération en t se poursuit
Et
ton rire trempé de pleurs qu’on ne voit pas, d’où cette antithèse, et le verbe » trempé » qui insiste sur les pleurs, un rire mélangé aux
pleurs
Pour faire épanouir la rate du vulgaire. Encore une synecdoque, rate pour désigner une partie du ventre de la personne qui s’esclaffe. La rate est
un organe digestif, on imagine donc un public bien nourri et insouciant, ce qui contraste avec le poète et sa muse.
Rappel : Synesthésie :expression d’un mélange, d’une superposition des sensations liées aux cinq sens.
Conclusion 1. Rappel des thèmes : la recherche de l’inspiration ( cf l’or et l’azur) , la souffrance et solitude du poète, avec le public, et aussi … avec les femmes ? : un poème parcouru de forts contrastes : porse et poésie/ religion et protitution. 2. Rapprochement avec la muse vénale. 3. aspect moderne des figures concrètes : mélange de lyrisme ancien et de vision moderne.