LE1 :incipit du roman, l 1-50
LE2 : portrait de Mlle de Chartres
LE3 : Scène de première rencontre
La symbolique des lieux
Le rôle des récits enchâssés
Vie de cour et vie morale
L’Histoire et l’histoire
- L’incipit
- La galerie de portraits
- La rencontre avec le Prince de Clèves
- Les intrigues pour le mariage
- L’histoire de Diane de Poitiers, d'Anne de Boulen, de Mme de Tournon,
- Les épisodes de la lettre.
- La scène du vol du portrait
- La scène du ruban
- La scène de l’aveu
- Dernières explications avec le mari ( lien avec film Christophe Honoré)
- La scène du renoncement
- L’excipit
1. visions de l’amour et du mariage au MoyenAge : Les stratégies du mariage : ( en complément du récit des épisodes précédant et permettant le mariage avec le prince de Clèves, p 30) ( 1H)
1. Yvain ou le Chevalier au lion, p 226
2. 17e : Madame de Lafayettedébut et fin de La princesse de Montpensier
3. 19e : Zola, Pot Bouille
4. Jane Austeen, Raison et Sentiments, p 229
5. Annie Ernaux, la femme Gelée, p 234
6. Film, Mustang, Deniz Erguven
2. Scènes de bal et coups de foudre : ( en complément de la scène de rencontre avec le duc de Nemours ) ( 2H)
3. Devenirs de l’adultère : après la chute : ( en complément des épisodes d’angoisse et des histoires enchâssées : madame de Tournon, Mme de Themines : leur rôle : dénoncer les abus de l’adultère et maintenir l a princesse dans le chemin de la vertu.) ( 2h)
· 18e : Diderot, Jacques le fatalisteHistoire de madame de la Pommeraye ( fin du livre)
· 18e : Laclos, les liaisons dangereuses : le rôle des lettres / ou madame de Tourvel : renoncement à l’amour. ( fin du livre)
· 19e : Amour et renoncement à l’amour : La duchesse de Langeais, Balzac https://youtu.be/g4N60DYOLYU: moment du renoncement à l’amour
· 19e Flaubert,Madame Bovary : Scène des comices/ lettre de rupture
· 20e Radiguet,Le diable au corps : le mari à la guerre : extrait du film https://youtu.be/6ZCKDZ2G174
· 20esiècle : Proust : le côté de Guermantes : le devenir des femmes du faubourg Saint germain ayant « fauté : Mme de Villeparisis.
Evaluations :
Contrôle de lecture (1/2h)
Compte rendu de lectures de textes du parcours associé en lien avec les thèmes « individu, morale et société » (DST)
Partie dedissertationsur la princesse de Clèves (1h30)
« D’après votre lecture de la Princesse de Clèves et des autres extraits du parcours associé, les passions sont-elles condamnables ? »
Ou « Vous vous demanderez quel rôle peut jouer la représentation de l’Histoire dans une oeuvre littéraire. «
Lectures cursives :
18es : Laclos, les liaisons dangereuses
19es Stendhal, le rouge et le noir
20e : Raymond Radiguet, le diable au corps
https://commentairecompose.fr/la-princesse-de-cleves-incipit/
Mme de Lafayette, La Princesse de ClèvesL’incipit du roman, explication linéaire
(références des pages : édition Nathan)
Du début à la ligne 20 « ... François premier, son père. »
Présentation et situation de l’extrait
Le passage étudié se situe à l’ouverture de La Princesse de Clèves, roman publié anonymement en 1678. Cet incipit amorce une présentation développée de la cour du roi Henri II en 1558, présentation qui se prolonge durant les pages suivantes à la faveur d’une riche galerie de portraits des plus grands princes du royaume. Le personnage principal de l’œuvre n’apparaîtra que dans un second temps (p. 23), au moment de son arrivée à la cour (« Il parut alors une beauté à la cour... »).
Les vingt premières lignes du roman se focalisent plus précisément sur l’évocation du faste de la cour, dont la vie est rythmée par de brillantes fêtes. Adoptant le ton de la chroniqueuse d’histoire, apparemment soucieuse d’objectivité, Mme de Lafayette présente également au lecteur trois figures historiques de premier plan : le roi Henri II, sa favorite la duchesse de Valentinois et enfin la reine, Catherine de Médicis, selon un ordre qu’il conviendra d’interroger.
Lecture à haute voix du passage
Composition de l’extrait
L’incipit de l’œuvre de Mme de Lafayette se compose de trois mouvements équilibrés, trois paragraphes de six à sept lignes, qui s’inscrivent dans une progression claire, allant d’un tableau en apparence idéalisé de la cour à une présentation plus critique de la figure d’Henri II.
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1) Dans un premier temps, qui correspond au premier paragraphe du texte (l. 1 à 6), l’auteur souligne l’éclat qui caractérise
la cour des Valois, et présente en quelques mots le roi, à travers la relation passionnée qui l’unit à sa favorite.
2) Puis, dans un deuxième paragraphe (l. 7 à 14), Mme de Lafayette se concentre sur les divertissements que le roi organise quotidiennement à la cour, et elle revient à cette
occasion sur la passion d’Henri II pour sa maîtresse.
3) Enfin, le dernier temps du texte (l. 15 à 20) présente au lecteur la reine et rappelle les circonstances de son mariage avec
Henri II, et les circonstances de l’avènement de ce dernier au trône.
Le mouvement d’ensemble du texte nous fait ainsi passer de la figure d’Henri II à celle du dauphin qui aurait dû régner à sa place, à la mort de François Ier en 1547. Le passage
étudié se termine du reste par la référence nominative à ce monarque qui a durablement marqué le destin du royaume. Il faudra ainsi interroger cette progression du texte, qui
s’accompagne, sur le plan des références à l’Histoire, d’une régression vers le passé...
Projet de lecture
On pourra se demander comment cet incipit, qui retarde la présentation des personnages principaux, notamment du personnage éponyme, joue avec les attentes du lecteur et attise sa curiosité par le recours à un double registre subtil. En effet, par-delà l’apparente neutralité de ton de ce texte, Mme de Lafayette suggère que le tableau en apparence idéalisé de la cour dissimule une réalité plus complexe/sombre.
Plan de l’explication
Nous montrerons que cette présentation inaugurale de la cour des Valois se caractérise par son ambivalence, en nous concentrant tout d’abord sur la présentation du moment historique de l’intrigue, qui inclut un bref portrait du roi, avant de nous arrêter sur l’évocation des divertissements qui rythment la vie des courtisans. Nous terminerons notre analyse en nous intéressant à la présentation de la reine, qui permet à l’auteur de revenir sur la jeunesse du roi par le biais d’une analepse externe.
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1) Présentation du cadre historique de l’intrigue, et premier portrait du roi
Les deux substantifs coordonnés («magnificence» et «galanterie») qui ouvrent le passage sont en apparence très mélioratifs. Ils soulignent le faste et l’élégance des manières propres à cette cour, qui porterait à un point de perfection le raffinement déjà recherché par le père d’Henri II, François Ier.
Il faut s’arrêter plus précisément sur ces deux termes qui ouvrent l’œuvre: lamagnificence est la qualité de ce qui est magnifique, remarquable, selon le dictionnaire de l’académie française de 1694. On peut aussi rappeler l’étymologie latine du terme : lamagnificentia, c’est la grandeur d’âme, la noblesse. La galanterie se définit en premier lieu comme le raffinement, l’élégance, notamment des hommes à l’égard des femmes. Cependant, ces deux termes mélioratifs peuvent aussi s’entendre plus négativement : lamagnificence, c’est également la dépense excessive, la disposition au faste, à la somptuosité. Dans la même perspective, la galanterie est également définie par les dictionnaires de l’époque comme le soin que l’on met à courtiser les dames, et le substantif peut donc s’entendre en mauvaise part.
Derrière l’apparent éloge, une critique discrète est donc amorcée d’emblée...
Ces deux termes coordonnés, finalement ambivalents, sont en tout cas suivis d’une négation partielle (« n’ont jamais paru... ») et par le complément de manière « avec tant
d’éclat que dans les derniers années... », dont l’intensif est caractéristique de ce que l’on appelle une rhétorique du haut degré. La grandeur, la richesse et l’élégance de la
cour sont ainsi mises en valeur, même si le recours au passé composé de l’indicatif suggère immédiatement qu’il s’agit là d’une époque révolue (aspect accompli PC), ce qui n’a
pas manqué de faire réagir les premiers lecteurs de l’œuvre, estimant que le règne de Louis XIV était encore plus brillant et fastueux.
La fin de la phrase situe en tout cas cette présentation dans une époque assez précise : la fin du règne d’Henri II. Par la suite, d’autres indices nous permettront de dater
encore plus précisément ce moment, et de comprendre que l’œuvre s’ouvre en novembre 1558. Contrairement aux romans baroques de la première moitié du siècle, situés dans une
antiquité idéalisée et peu soucieuse de vérité historique (penser bien sûr à L’Astrée, vaguement située dans la Gaule des Druides...),
l’œuvre de Mme de Lafayette prend donc pour cadre une période relativement récente de l’histoire pour les lecteurs de l’époque, bien que ces derniers ne puissent l’avoir
directement connue. Il s’agit en tout cas d’une
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période bien documentée par les chroniqueurs de l’époque (rappeler éventuellement les sources principales de Mme de
Lafayette).
Les dernières années du règne d’Henri II, qui est monté sur le trône en 1547 à la suite de la mort de son père François Ier, correspondent à un moment de transition dans l’histoire
de France : le long règne de François Ier a permis de moderniser l’Etat, de consolider le prestige de la couronne et de développer la vie à la cour dans le sens d’un grand
raffinement, qui se nourrissait notamment des échanges avec des artistes italiens que le roi invitait en France.
Henri II poursuit dans cette voie et accentue la recherche du faste et de l’élégance à la cour. Par ailleurs, il est sur le point de signer un traité de paix qui mettra un terme aux longues guerres d’Italie qui ont marqué les dernières décennies : la fin de son règne s’accompagne ainsi d’une période de relative stabilité politique, avant l’éclatement des guerres de religion qui ensanglanteront les décennies suivantes.
La phrase suivante amorce le portrait du roi, en mettant en lumière quelques aspects soigneusement choisis de sa personnalité. Le terme « prince » qui ouvre cette phrase après le démonstratif anaphorique doit être pris dans son sens étymologique : le prince est le princeps, ce qui signifie en latin celui qui est premier par le rang, qui occupe la première place, bref, le roi.
Trois qualificatifs en position d’attributs permettent de préciser les qualités principales du roi : il est « galant, bien fait,
et amoureux », suite ternaire qui met en valeur le dernier terme, du reste plus long que les précédents (trois syllabes contre deux).
Noter au passage l’alexandrin blanc, qui rend la proposition frappante, et facile à mémoriser : « Ce prince était galant, bien fait et amoureux ». (2/4//2/4)
La référence au caractère « galant » du prince fait bien entendu écho à l’évocation la « galanterie » de la cour, à la première ligne du texte, et il faut souligner à nouveau la polysémie de ce terme : un homme galant est un homme agréable et raffiné, mais c’est aussi un homme qui cherche à séduire les femmes.
Mettre immédiatement l’accent sur la « galanterie » de la cour et sur le caractère « galant » de son principal représentant suggère ainsi que les relations amoureuses, les intrigues y occupent une place importante, ce qui sera du reste confirmé par la suite. La précision « bien fait », au centre de l’énumération ternaire, met l’accent sur les qualités physiques du roi, sans rentrer dans le détail de son portrait. Enfin, l’adjectif
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« amoureux » souligne d’emblée qu’il se définit également (et peut-être surtout...) par la relation qu’il entretient avec un
objet extérieur à lui-même.
Finalement, si ces trois qualités peuvent à première vue sembler positives, on peut noter que ce ne sont pas celles que le lecteur attend en priorité dans la présentation d’un
souverain. On attendrait plutôt qu’il soit présenté à travers son sens politique, son discernement, son autorité, etc.
La deuxième partie de la phase, à la suite point-virgule, confirme cette interprétation critique de l’adjectif « amoureux » : la proposition concessive ouverte par la conjonction de subordination « quoique » introduit en effet un complément important par rapport à ce qui vient d’être dit.
Henri II n’est pas seulement « amoureux », il est passionné, cad en proie à un sentiment caractérisé par l’excès, que l’on ne
maîtrise pas forcément, et qui peut causer des souffrances (étymologie).
L’objet de cette passion est précisément nommé, et le rappel du nom de la favorite d’Henri II, Diane de Poitiers, qui appartient à une illustre famille de la noblesse, se
complète immédiatement par la référence au titre que le roi lui a octroyé en 1548, afin d’asseoir la position de Diane à la cour. Nous sommes à la quatrième ligne de l’œuvre
et l’accent est déjà mis sur une passion adultérine !
Surtout, la narratrice prend soin de rappeler que cette passion remonte à la jeunesse d’Henri II, en précisant qu’elle a commencé « il y avait plus de vingt ans », durée évidemment très longue, avec l’idée que le commencement de cette passion est tellement éloigné dans le temps qu’il est difficile de le dater avec précision.
Cette référence à des sentiments à la fois très marqués et étonnement durables est attestée par les historiens, qui considèrent en effet que Diane est la maîtresse d’Henri depuis 1538. Indirectement, cette insistance sur la durée de la relation du roi et de sa favorite constitue également un rappel, pour le lecteur averti, de l’âge avancé de la duchesse de Valentinois, qui a vingt ans de plus qu’Henri II. Elle a presque 60 ans en 1558, à l’ouverture du roman.
Après la concessive, la principale insiste en tout cas sur la « violence » de cette passion, malgré le temps passé: la tournure négative, suivie d’un comparatif d’infériorité, souligne en effet la force de cette passion, qui échappe à l’usure du temps. La succession de la négation et du comparatif d’infériorité (ne...pas moins) équivaut finalement à une affirmation renforcée.
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L’idée d’une passion excessive, mal maîtrisée, irrationnelle se confirme donc. La fin de la phrase suggère quant à elle l’absence de retenue du roi, qui n’hésite pas à afficher publiquement cette passion... au mépris de toute convenance. «Témoignages» (au pluriel) a en effet le sens de manifestations, de marques publiques que l’on donne. Ces témoignages sont « éclatants », adjectif qui rappelle le substantif « éclat » de la ligne 2, mais la réalité envisagée ici est nettement moins positive...
La première partie du texte présente donc au lecteur le moment historique où l’intrigue va être située, tout en lui proposant un premier portrait ambivalent du roi, notamment à travers le rappel de la liaison passionnée qui l’unit à sa favorite. La reine, pour le moment, n’a fait l’objet d’aucune mention, et cette absence ne peut manquer de nous interroger.
2) Le royaume du divertissement et de l’apparence
La deuxième partie du texte permet à Mme de Lafayette de préciser la peinture de la cour des Valois ainsi que le portrait du
roi. L’accent est alors mis sur les divertissements qui rythment la vie du souverain et de ses courtisans.
Dans la première phrase du passage, la multiplication de ces festivités est expliquée par une subordonnée causale qui revient sur les qualités physiques du roi. L’adverbe «
admirablement », pris dans son sens étymologique (= de manière étonnante à voir1), suggère que ces qualités physiques se donnent volontiers à voir, qu’elles font l’objet d’une mise en spectacle qui suscite
l’étonnement. Mais, insister sur la réussite d’Henri II dans les « exercices du corps », n’est-ce pas suggérer, en creux, qu’il n’a pas autant de facilité dans les exercices de
l’esprit ? Entre les lignes du texte, une critique implicite de la figure du roi se poursuit donc en filigrane.
Henri II se consacre en tout cas assidûment aux activités physiques, comme le souligne le superlatif relatifdans la proposition «il en faisait une de ses plus grandes occupations ». Là encore, ce n’est pas tout à fait ce que le lecteur attend d’un souverain ! La deuxième partie de la phrase, après le présentatif à l’imparfait descriptif « c’était... », donne quelques exemples de ces activités, en insistant sur leur fréquence quotidienne
1 Admirablement est formé à partir de l’adjectif admirable, dérivé de mirabilis en latin, qui signifie étonnant à voir, singulier pour les yeux.
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(« tous les jours ») et leur nombre, notamment à travers l’emploi récurrent de l’article indéfini au pluriel (« des parties...
des ballets... des courses... »).
Jeux, tournois, parties de chasse et ballets se trouvent alors mis sur le même plan, toutes ces activités ayant en commun d’être éloignées de la politique et des affaires
sérieuses liées à la conduite du royaume. Ce sont également des occupations qui s’accompagnent d’un mouvement, d’une agitation, voire d’un tournoiement qui ne permet pas la
réflexion. Comme le souligne le terme qui résume et clôt cette énumération, ces activités sont des « divertissements », autrement dit des distractions, voire des passe-temps
dont la liste pourrait être poursuivie.
Le recours au terme « divertissements » fait évidemment écho à la critique pascalienne de ces occupations qui nous détournent littéralement (le verbe divertir vient du latin di- vertire, détourner) de la prise de conscience de notre finitude. Pour l’auteur des Pensées, publiées pour la première fois à titre posthume en 1670, le divertissement (et notamment la chasse, mentionnée en premier dans notre énumération !) est en effet un moyen privilégié pour l’homme d’échapper à l’inquiétude métaphysique résultant de la confrontation avec l’idée de sa mort, avec le néant et la misère de son être...
Se souvenir notamment du fragment suivant, très célèbre :
Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. (Lafuma, 136)
Ou encore :
La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c’est
la plus grande de nos misères. Car c’est cela qui nous empêche principalement de songer
à nous, et qui nous fait perdre insensiblement. (Lafuma, 414)Ou encore
Les hommes s’occupent à suivre une balle, un lièvre : c’est le plaisir même des rois.
(Lafuma, 39)
Mme de Lafayette, fervente lectrice de Pascal ainsi que l’ont montré ses biographes et les spécialistes de son œuvre, partage cette critique pascalienne du divertissement, et elle y fait certainement allusion dans notre passage, afin de faire ressortir la contradiction entre la dignité de la fonction royale et la futilité de divertissements tels que les jeux de balle ou la chasse.
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Dans la deuxième partie de cette phrase, ces activités se trouvent immédiatement rattachées à la passion du roi pour sa favorite. La référence aux «témoignages éclatants» qu’Henri II n’hésite pas à donner de son amour, en fin de premier paragraphe, se trouve illustrée de manière précise par la mention des « couleurs et des chiffres » de Diane, qu’il arbore en toute occasion, qu’il fait voir « partout », adverbe qui souligne encore une fois le caractère passionnel de cette liaison.
On sait que les couleurs que la duchesse avait l’habitude de porter étaient le noir (elle était veuve d’un premier mari, Louis de Brézé !) et le blanc rayé d’or, et Henri II privilégiait en effet ces couleurs dans le choix de ses costumes et insignes royaux. Les « chiffres » mentionnés l. 11 font quant à eux référence aux initiales du nom de Diane de Poitiers. Là encore, le roi n’hésite pas à mettre en avant ce symbole lié à la personne de son amante, il les fait « paraître partout », autrement dit il les affiche sans égard pour la reine, son épouse.
La reprise du verbe « paraître », dans le prolongement de cette première occurrence, insiste sur la place occupée par les apparences dans cette cour où il s’agit avant tout de se faire voir. C’est la duchesse de Valentinois qui est cette fois sujet du verbe « paraître » (polyptote), et la fin de la phrase est effectivement consacrée aux parures et aux atours qu’elle privilégie pour se montrer à la cour.
Mme de Lafayette termine ce paragraphe par une notation particulièrement critique, voire perfide : les « ajustements » choisis par la duchesse sont les mêmes que ceux que sa petite-fille, en âge d’être mariée, a l’habitude de porter. Cela souligne non seulement que Diane de Poitiers est grand-mère d’une jeune fille, mais aussi (et c’est encore plus perfide !), qu’elle a l’indécence de se vêtir comme si elle était encore une jeune fille... ce qu’elle n’est plus depuis longtemps.
La référence au nom de « mademoiselle de la Marck » confirme l’ancrage de l’intrigue dans un cadre historique précis, comprenant des références à des figures qui ont effectivement existé, comme le lecteur peut aisément le vérifier. Une recherche rapide nous apprend ainsi que Mlle de la Marck a une quinzaine d’années en 1558, soit l’âge du futur personnage éponyme. De manière discrète, cette référence à une jeune fille à marier anticipe ainsi sur le destin de la future héroïne. Cette remarque prend tout son sens si l’on précise que la jeune fille a effectivement épousé, quelques mois plus tard, un
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certain Jacques de Clèves, qui a inspiré à Mme de Lafayette la figure du prince de Clèves. Dans le roman, elle épouse
Monsieur d’Anville (le deuxième fils du connétable...).
Ce paragraphe a en tout cas permis à la narratrice de mettre l’accent sur l’omniprésence du divertissement à la cour, et de souligner la place centrale occupée par le roi et sa
favorite dans ces festivités.
3) La présentation de la reine et le retour sur la jeunesse du roi
Enfin, le dernier temps de notre extrait est consacré à la présentation de Catherine de Médicis, qui donne lieu à quelques
rappels concernant la jeunesse du roi.
La reine (dont le nom n’est quant à lui pas précisé !) apparaît seulement dans le troisième paragraphe, après la présentation de la duchesse de Valentinois, et
cet ordre du texte reflète à sa manière la perturbation introduite par l’omniprésence de la favorite à la cour.
La narratrice souligne alors que la présence de la reine à la cour, notamment durant les divertissements organisés par le roi, permet paradoxalement à la duchesse d’être présente (on peut rappeler que le titre de duchesse donnait à celle qui le portait le privilège d’avoir un siège dans la chambre de la reine !). Autant dire que la reine et la favorite en titre sont contraintes de cohabiter, sans laisser transparaître leur rivalité ! Après le point, la deuxième phrase esquisse un rapide portrait de l’épouse d’Henri II, en s’attachant à ses qualités physiques puis morales.
La présentation physique du personnage reste minimale : un adjectif attribut très général rappelle simplement la beauté de Catherine de Médicis, mais il est immédiatement suivi d’une subordonnée concessive qui minore cette qualité, en soulignant l’âge avancé de la reine...
Enfin, une dernière proposition permet d’esquisser le portrait moral du personnage, à travers la mention de ses goûts. L’énumération qui termine alors la phrase n’est guère flatteuse pour la reine, les trois éléments mentionnés (« la grandeur, la magnificence, et les plaisirs ») se rattachant soit au paraître, soit au divertissement, le dernier élément de l’énumération étant mentionné au pluriel.
On notera la nouvelle mention de la « magnificence », terme qui ouvrait le roman : cette reprise confirme que la cour est indissociable du culte du faste et de l’apparence.
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Le paragraphe se clôt par une analepse de quelques lignes, la narratrice profitant de la référence à la reine pour opérer un bref retour sur la jeunesse du roi. Cette analepse est surtout l’occasion de rappeler qu’Henri II n’était en principe pas destiné à régner : il avait un frère aîné, François de France, qui aurait dû monter sur le trône à la mort de son père François Ier. C’est la mort prématurée du dauphin, en 1536, qui a conduit celui qui n’était que duc d’Orléans à se préparer à prendre la succession de son père.
Mais loin de s’en tenir à ce rappel objectif des faits passés, la narratrice souligne que le dauphin était pourvu de toutes les qualités nécessaires pour succéder à son père, et « remplir dignement » ses fonctions de roi ! En creux, la narratrice suggère que ces « grandes qualités » et cette dignité que possédait le fils aîné de François Ier sont justement celles qui font défaut à son frère cadet, essentiellement occupé à se divertir, nous l’avons vu.
Le passage se termine par la mention du lien qui unissait le dauphin à François Ier, « son père ». Habilement, la narratrice rappelle ici la relation privilégiée qui unissait le feu roi à son fils aîné, tandis que ses relations avec le jeune Henri semblent avoir été plus difficiles... La figure de l’actuel roi est en tout cas éclipsée de la fin du texte, qui opère une régression, un retour en arrière sur le plan chronologique.
Le dernier paragraphe de notre extrait confirme d’une part la place importante accordée aux figures féminines dans l’incipit, et d’autre part le poids des apparences dans une cour qui se présente finalement comme un décor de théâtre.
Conclusion
L’incipit du roman prend soin de situer l’intrigue dans un cadre historique précis, encore relativement proche des premiers lecteurs de l’œuvre. Ce cadre est éminemment prestigieux, et le goût du faste qui caractérise la cour des Valois n’est pas sans rappeler la recherche de grandeur qui caractérise le règne de Louis XIV au moment de la parution du roman.
Cependant, cette peinture en apparence élogieuse d’une cour brillante et raffinée comporte un certain nombre de nuances/d’ambivalences qui suggèrent d’emblée que la narratrice se montre en vérité critique à l’égard du culte des apparences qui règne en ces lieux.
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Enfin, les personnages présentés dans cette ouverture entretiennent des relations complexes, marquées par des sentiments passionnés, éloignés de toute mesure et de toute sagesse. Le roi notamment semble asservi à une passion irrationnelle, tandis que sa favorite et la reine se retrouvent fatalement en position de rivalité. C’est dans cet univers complexe que le personnage principal, attendu par le lecteur, fera son apparition quelques pages plus loin.
(Laure Helms)
http://lettres.ac-rouen.fr/francais/tendre/portrait.html
https://contagions.hypotheses.org/1244