LE 14 : La rencontre de Julien Sorel et de Madame de Rênal
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Texte 14: Le rouge et le noir, Stendhal
Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, Mme de
Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte d'entrée la figure d'un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui
venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette.
Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l'esprit un peu romanesque de Mme de Rênal eut d'abord l'idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui
venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d'entrée, et qui évidemment n'osait pas lever la main jusqu'à la sonnette. Mme de Rênal
s'approcha, distraite un instant de l'amer chagrin que lui donnait l'arrivée du précepteur. Julien tourné vers la porte, ne la voyait pas s'avancer. Il tressaillit quand une voix douce lui dit
tout près de l'oreille : – Que voulez-vous ici, mon enfant ?
Julien se tourna vivement, et frappé du regard si rempli de grâce de Mme de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce qu'il
venait faire. Mme de Rénal avait répété sa question.
– Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu'il essuyait de son mieux.
Mme de Rênal resta interdite; ils étaient fort près l'un de l'autre à se regarder. Julien n'avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler
d'un air doux. Mme de Rênal regardait les grosses larmes, qui s'étaient arrêtées sur les joues si pâles d'abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute
la gaieté folle d'une jeune fille ; elle se moquait d'elle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c'était là ce précepteur qu'elle s'était figuré comme un prêtre sale et mal
vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants !
– Quoi, monsieur, lui dit-elle enfin, vous savez le latin ?
Début du chapitre 6 - Le Rouge et le noir – Stendhal
Questions :
- Relevez le champ lexical du regard
- Relevez et commentez les adjectifs et les modificateurs d’adjectifs ( les adverbes situés devant l’adjectif)
- Que pouvez-vous dire, sur le statut social, l’âge et l’apparence des protagonistes ?
- Quels sont les effets de surprise et de renversement ici ?
- Qu’apprend-t-on à la fin ?
Texte 15 : Aragon, Aurélien, incipit, 1944
La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n'aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu'il n'aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu'il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d'Orient1 sans avoir l'air de se considérer dans l'obligation d'avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n'aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l'avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d'ennui et d'irritation. Il se demanda même pourquoi. C'était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois... Qu'elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n'y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l'irritait.
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l'avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu'il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l'avait obsédé, qui l'obsédait encore :
Je demeurai longtemps errant dans Césarée...
En général, les vers, lui... Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? C'est ce qu'il ne s'expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l'histoire de Bérénice... l'autre, la vraie... D'ailleurs il ne se rappelait que dans ses grandes lignes cette romance, cette scie2. Brune alors, la Bérénice de la tragédie. Césarée3, c'est du côté d'Antioche, de Beyrouth. Territoire sous mandat4. Assez moricaude, même, des bracelets en veux-tu en voilà, et des tas de chichis, de voiles. Césarée... un beau nom pour une ville. Ou pour une femme. Un beau nom en tout cas. Césarée... Je demeurai longtemps ... je deviens gâteux. Impossible de se souvenir : comment s'appelait-il, le type qui disait ça, une espèce de grand bougre ravagé, mélancolique, flemmard, avec des yeux de charbon, la malaria... qui avait attendu pour se déclarer que Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage, à Rome, avec un bellâtre5 potelé, ayant l'air d'un marchand de tissus qui fait l'article, à la manière dont il portait la toge. Tite6. Sans rire. Tite.
Je demeurai longtemps errant dans Césarée...
Ça devait être une ville aux voies larges, très vide et silencieuse. Une ville frappée d'un malheur. Quelque chose comme une défaite. Désertée. Une ville pour les hommes de trente ans qui n'ont plus de cœur à rien. Une ville de pierre à parcourir la nuit sans croire à l'aube. Aurélien voyait des chiens s'enfuir derrière les colonnes, surpris à dépecer une charogne. Des épées abandonnées, des armures. Les restes d'un combat sans honneur.
LE 15 : la rencontre d'Aurélien et de Bérénice dans le roman d'Aragon: Aurélien
Texte 4 :
Introduction
Aragon, Aurélien, incipit, 1944
La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n'aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu'il n'aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu'il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d'Orient1sans avoir l'air de se considérer dans l'obligation d'avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n'aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l'avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d'ennui et d'irritation. Il se demanda même pourquoi. C'était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois... Qu'elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n'y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l'irritait.
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l'avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu'il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l'avait obsédé, qui l'obsédait encore :
Je demeurai longtemps errant dans Césarée...
En général, les vers, lui... Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? C'est ce qu'il ne s'expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l'histoire de Bérénice... l'autre, la vraie... D'ailleurs il ne se rappelait que dans ses grandes lignes cette romance, cette scie2. Brune alors, la Bérénice de la tragédie. Césarée3, c'est du côté d'Antioche, de Beyrouth. Territoire sous mandat4. Assez moricaude, même, des bracelets en veux-tu en voilà, et des tas de chichis, de voiles. Césarée... un beau nom pour une ville. Ou pour une femme. Un beau nom en tout cas. Césarée... Je demeurai longtemps ... je deviens gâteux. Impossible de se souvenir : comment s'appelait-il, le type qui disait ça, une espèce de grand bougre ravagé, mélancolique, flemmard, avec des yeux de charbon, la malaria... qui avait attendu pour se déclarer que Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage, à Rome, avec un bellâtre5 potelé, ayant l'air d'un marchand de tissus qui fait l'article, à la manière dont il portait la toge. Tite6. Sans rire. Tite.
Je demeurai longtemps errant dans Césarée...
Ça devait être une ville aux voies larges, très vide et silencieuse. Une ville frappée d'un malheur. Quelque chose comme une défaite. Désertée. Une ville pour les hommes de trente ans qui n'ont plus de cœur à rien. Une ville de pierre à parcourir la nuit sans croire à l'aube. Aurélien voyait des chiens s'enfuir derrière les colonnes, surpris à dépecer une charogne. Des épées abandonnées, des armures. Les restes d'un combat sans honneur.
1 Bérénice : nom d’une princesse juive que Titus emmena à Rome après la prise de Jérusalem en 70 et dont l’histoire a inspiré en 1670 à Racine une tragédie du même nom et à Corneille une autre tragédie : Tite et Bérénice
2 Scie : terme populaire pour désigner une rengaine, un terme obsédant
3 Césarée : ville de Palestine
4 Sous mandat : sous tutelle
5 Bellâtre : terme utilisé pour désigner un homme à la beauté fade et imbu de sa personne
6 Tite : empereur romain de 79 à 81. Ce nom évoque davantage la tragédie de Corneille que celle de Racine
"Le type qui disait ça, une espèce de grand bougre ravagé, mélancolique, flemmard, avec des yeux de charbon, la malaria... ":ll parle des personnages avec une sorte de distance prosaïque et ironique : le registre employé ici quand on traite avec un vocabulaire courant un sujet noble s'appelle le registre burlesque. Il en est de même pour Bérénice :
Et pour Titus : "un
bellâtre5 potelé, ayant l'air d'un marchand de tissus qui fait l'article, à la manière dont il portait la toge.
Tite6. Sans rire. Tite."
2. Récit de pensées