Descriptif bac blanc mai 2021 1ere ST2S / Mme de la Croix

 

 

 

Objet d’étude 1 : Le Théâtre 

 

OI : Molière, le Malade Imaginaire

 

Parcours : Spectacle et comédie

 

 

 

EL 1 : I, 5 : l’annonce du père (du début à « tous les Diafoirus du monde »)

 

EL 2 : III, 10 ( en entier) : la scène du poumon

 

EL 3 : III, 12 ( en entier) : Béline démasquée

 

EL 4 : Shakespeare, le songe d’une nuit d’été, extrait, le mariage de Thésée

 

 

 

Objet d’étude 2 : L’argumentation 

 

OI : Montaigne, les Essais, des Cannibales

 

Parcours : « Notre monde vent d’en découvrir un autre »

 

 

 

EL 5 : Sur les barbares : « Or je trouve, pour revenir à mon propos… par la dernière »

 

EL 6 : la fin «  Trois d’entre eux … hauts de chausses » » p 31-32 lignes  478-516 

 

EL 7 : Diderot, supplément au voyage de Bougainville, discours du vieillard

 

 

 

Objet d’étude 3 : Le roman

 

 OI : Madame de la Fayette, la Princesse de Clèves

 

Parcours : Individu, morale et société

 

 

 

EL 8 : Le portrait de la princesse : «  Il parut une beauté à la cour » , p 19

 

EL 9 : La rencontre au bal «  Elle passa tout le jour des fiançailles à se parer », p 35, l 675-715

 

 

 

 Grammaire 

 

Les propositions subordonnées : relatives, complétives, interrogatives indirectes et circonstancielles

 

La négation, l’interrogation, la formation des mots

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Livres retenus pour la lecture cursive ( en plus des 4 OI):

 

OE 1 :

 

Pirandello, Six personnages en quête d’auteur

 

 Shakespeare Le songe d’une nuit d’été

 

Ionesco, Le roi se meurt,

 

Jules Romains, Knock

 

 OE2 :

 

Diderot, supplément au voyage de Bougainville

 

JC Carrière la controverse de Valladolid

 

Recueil folio sagesse : Pieds nus sur la terre sacrée

 

 Erich Sheurmann,  Le Papalagui. Les propos de Tourviavii

 

OE 3 :

 

Stendhal le rouge et le noir

 

Schnitzler, Mademoiselle Else,

 

Laclos, les liaisons dangereuses 

 

OE 4 :

 

Apollinaire, Alcools

 

Prévert, paroles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Objet d’étude 1 : Le Théâtre 

 

OI : Molière, le Malade Imaginaire

 

Parcours : Spectacle et comédie

 

LL1 : acte I, scène 5

 

 

 

ARGAN, ANGÉLIQUE, TOINETTE.

 

ARGAN se met dans sa chaise.- Ô çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas. On vous demande en mariage. Qu’est-ce que cela ? vous riez. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage. Il n’y a rien de plus drôle pour les jeunes filles. Ah ! nature, nature ! À ce que je puis voir, ma fille, je n’ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier.

 

ANGÉLIQUE.- Je dois faire, mon père, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner.

 

ARGAN.- Je suis bien aise d’avoir une fille si obéissante, la chose est donc conclue, et je vous ai promise.

 

ANGÉLIQUE.- C’est à moi, mon père, de suivre aveuglément toutes vos volontés.

 

ARGAN.- Ma femme, votre belle-mère, avait envie que je vous fisse religieuse, et votre petite sœur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela.

 

TOINETTE, tout bas.- La bonne bête a ses raisons.

 

ARGAN.- Elle ne voulait point consentir à ce mariage, mais je l’ai emporté, et ma parole est donnée.

 

ANGÉLIQUE.- Ah ! mon père, que je vous suis obligée de toutes vos bontés.

 

TOINETTE.- En vérité je vous sais bon gré de cela, et voilà l’action la plus sage que vous ayez faite de votre vie.

 

ARGAN.- Je n’ai point encore vu la personne ; mais on m’a dit que j’en serais content, et toi aussi.

 

ANGÉLIQUE.- Assurément, mon père.

 

ARGAN.- Comment l’as-tu vu ?

 

ANGÉLIQUE.- Puisque votre consentement m’autorise à vous pouvoir ouvrir mon cœur, je ne feindrai point de vous dire  , que le hasard nous a fait connaître il y a six jours, et que la demande qu’on vous a faite, est un effet de l’inclination, que dès cette première vue nous avons prise l’un pour l’autre.

 

ARGAN.- Ils ne m’ont pas dit cela, mais j’en suis bien aise, et c’est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils disent que c’est un grand jeune garçon bien fait.

 

ANGÉLIQUE.- Oui, mon père.

 

ARGAN.- De belle taille.

 

ANGÉLIQUE.- Sans doute .

 

ARGAN.- Agréable de sa personne.

 

ANGÉLIQUE.- Assurément.

 

ARGAN.- De bonne physionomie.

 

ANGÉLIQUE.- Très bonne.

 

ARGAN.- Sage, et bien né.

 

ANGÉLIQUE.- Tout à fait.

 

ARGAN.- Fort honnête.

 

ANGÉLIQUE.- Le plus honnête du monde.

 

ARGAN.- Qui parle bien latin, et grec.

 

ANGÉLIQUE.- C’est ce que je ne sais pas.

 

ARGAN.- Et qui sera reçu médecin dans trois jours.

 

ANGÉLIQUE.- Lui, mon père ?

 

ARGAN.- Oui. Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ?

 

ANGÉLIQUE.- Non vraiment. Qui vous l’a dit à vous ?

 

ARGAN.- Monsieur Purgon.

 

ANGÉLIQUE.- Est-ce que Monsieur Purgon le connaît ?

 

ARGAN.- La belle demande ; il faut bien qu’il le connaisse, puisque c’est son neveu.

 

ANGÉLIQUE.- Cléante, neveu de Monsieur Purgon ?

 

ARGAN.- Quel Cléante ? Nous parlons de celui pour qui l’on t’a demandée en mariage.

 

ANGÉLIQUE.- Hé, oui.

 

ARGAN.- Hé bien, c’est le neveu de Monsieur Purgon, qui est le fils de son beau-frère le médecin, Monsieur Diafoirus ; et ce fils s’appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante ; et nous avons conclu ce mariage-là ce matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant et moi, et demain ce gendre prétendu doit m’être amené par son père. Qu’est-ce ? Vous voilà toute ébaubie ?

 

ANGÉLIQUE.- C’est, mon père, que je connais que vous avez parlé d’une personne, et que j’ai entendu une autre.

 

TOINETTE.- Quoi, Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? Et avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre fille avec un médecin ?

 

ARGAN.- Oui. De quoi te mêles-tu, coquine, impudente que tu es ?

 

TOINETTE.- Mon Dieu tout doux, vous allez d’abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang-froid. Quelle est votre raison, s’il vous plaît, pour un tel mariage ?

 

ARGAN.- Ma raison est, que me voyant infirme, et malade comme je suis, je veux me faire un gendre, et des alliés médecins, afin de m’appuyer de bons secours contre ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont nécessaires, et d’être à même des consultations, et des ordonnances.

 

TOINETTE.- Hé bien, voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience. Est-ce que vous êtes malade ?

 

ARGAN.- Comment, coquine, si je suis malade ? si je suis malade, impudente ?

 

TOINETTE.- Hé bien oui, Monsieur, vous êtes malade, n’ayons point de querelle là-dessus. Oui, vous êtes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez ; voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser un mari pour elle ; et n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un médecin.

 

ARGAN.- C’est pour moi que je lui donne ce médecin ; et une fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son père.

 

TOINETTE.- Ma foi, Monsieur, voulez-vous qu’en amie je vous donne un conseil ?

 

ARGAN.- Quel est-il ce conseil ?

 

TOINETTE.- De ne point songer à ce mariage-là.

 

ARGAN.- Hé la raison ?

 

TOINETTE.- La raison, c’est que votre fille n’y consentira point.

 

ARGAN.- Elle n’y consentira point ?

 

TOINETTE.- Non.

 

ARGAN.- Ma fille ?

 

TOINETTE.- Votre fille. Elle vous dira qu’elle n’a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde.

 

LL 2 : acte III, scène 10

 

 

 

TOINETTE, en médecin, ARGAN, BÉRALDE.

 

 

 

TOINETTE, en médecin.- Monsieur, je vous demande pardon de tout mon cœur.

 

ARGAN.- Cela est admirable !

 

TOINETTE.- Vous ne trouverez pas mauvaise, s’il vous plaît, la curiosité que j’ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes, et votre réputation qui s’étend partout, peut excuser la liberté que j’ai prise.

 

ARGAN.- Monsieur, je suis votre serviteur.

 

TOINETTE.- Je vois, Monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j’aie ?

 

ARGAN.- Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six, ou vingt-sept ans.

 

TOINETTE.- Ah, ah, ah, ah, ah ! J’en ai quatre-vingt-dix.

 

ARGAN.- Quatre-vingt-dix ?

 

TOINETTE.- Oui. Vous voyez un effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.

 

ARGAN.- Par ma foi voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans.

 

TOINETTE.- Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables d’exercer les grands, et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs, et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies, avec des inflammations de poitrine, c’est là que je me plais, c’est là que je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remèdes, et l’envie que j’aurais de vous rendre service.

 

ARGAN.- Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi.

 

TOINETTE.- Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme vous devez. Hoy, ce pouls-là fait l’impertinent ; je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ?

 

ARGAN.- Monsieur Purgon.

 

TOINETTE.- Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi, dit-il, que vous êtes malade ?

 

ARGAN.- Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.

 

TOINETTE.- Ce sont tous des ignorants, c’est du poumon que vous êtes malade.

 

ARGAN.- Du poumon ?

 

TOINETTE.- Oui. Que sentez-vous ?

 

ARGAN.- Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

 

TOINETTE.- Justement, le poumon.

 

ARGAN.- Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.

 

TOINETTE.- Le poumon.

 

ARGAN.- J’ai quelquefois des maux de cœur.

 

TOINETTE.- Le poumon.

 

ARGAN.- Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.

 

TOINETTE.- Le poumon.

 

ARGAN.- Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’était des coliques.

 

TOINETTE.- Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?

 

ARGAN.- Oui, Monsieur.

 

TOINETTE.- Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?

 

ARGAN.- Oui, Monsieur.

 

TOINETTE.- Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir ?

 

ARGAN.- Oui, Monsieur.

 

TOINETTE.- Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture ?

 

ARGAN.- Il m’ordonne du potage.

 

TOINETTE.- Ignorant.

 

ARGAN.- De la volaille.

 

TOINETTE.- Ignorant.

 

ARGAN.- Du veau.

 

TOINETTE.- Ignorant.

 

ARGAN.- Des bouillons.

 

TOINETTE.- Ignorant.

 

ARGAN.- Des œufs frais.

 

TOINETTE.- Ignorant.

 

ARGAN.- Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre.

 

TOINETTE.- Ignorant.

 

ARGAN.- Et surtout de boire mon vin fort trempé.

 

TOINETTE.- Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir votre sang qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville.

 

ARGAN.- Vous m’obligez beaucoup.

 

TOINETTE.- Que diantre faites-vous de ce bras-là ?

 

ARGAN.- Comment ?

 

TOINETTE.- Voilà un bras que je me ferais couper tout à l’heure, si j’étais que de vous.

 

ARGAN.- Et pourquoi ?

 

TOINETTE.- Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, et qu’il empêche ce côté-là de profiter ?

 

ARGAN.- Oui, mais j’ai besoin de mon bras.

 

TOINETTE.- Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j’étais en votre place.

 

ARGAN.- Crever un œil ?

 

TOINETTE.- Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt, vous en verrez plus clair de l’œil gauche.

 

ARGAN.- Cela n’est pas pressé.

 

TOINETTE.- Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt, mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui se doit faire, pour un homme qui mourut hier.

 

ARGAN.- Pour un homme qui mourut hier ?

 

TOINETTE.- Oui, pour aviser, et voir ce qu’il aurait fallu lui faire pour le guérir. Jusqu’au revoir.

 

ARGAN.- Vous savez que les malades ne reconduisent point.

 

BÉRALDE.- Voilà un médecin vraiment, qui paraît fort habile.

 

ARGAN.- Oui, mais il va un peu bien vite.

 

BÉRALDE.- Tous les grands médecins sont comme cela.

 

ARGAN.- Me couper un bras, et me crever un œil, afin que l’autre se porte mieux ? J’aime bien mieux qu’il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot !

 

 

 

LL3 : Acte III, Scène 12

 

 

 

BÉLINE, TOINETTE, ARGAN, BÉRALDE.

 

TOINETTE s’écrie.- Ah ! mon Dieu ! Ah malheur ! Quel étrange accident !

 

BÉLINE.- Qu’est-ce, Toinette ?

 

TOINETTE.- Ah, Madame !

 

BÉLINE.- Qu’y a-t-il ?

 

TOINETTE.- Votre mari est mort.

 

BÉLINE.- Mon mari est mort ?

 

TOINETTE.- Hélas oui. Le pauvre défunt est trépassé.

 

BÉLINE.- Assurément ?

 

TOINETTE.- Assurément. Personne ne sait encore cet accident-là, et je me suis trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise.

 

BÉLINE.- Le Ciel en soit loué. Me voilà délivrée d’un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t’affliger de cette mort !

 

TOINETTE.- Je pensais, Madame, qu’il fallût pleurer.

 

BÉLINE.- Va, va, cela n’en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne, et de quoi servait-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement, ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes, et valets.

 

TOINETTE.- Voilà une belle oraison funèbre.

 

BÉLINE.- Il faut, Toinette, que tu m’aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire qu’en me servant ta récompense est sûre. Puisque par un bonheur personne n’est encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu’à ce que j’aie fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l’argent, dont je me veux saisir, et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens, Toinette, prenons auparavant toutes ses clefs.

 

ARGAN, se levant brusquement.- Doucement.

 

BÉLINE, surprise, et épouvantée.- Ahy !

 

ARGAN.- Oui, Madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez ?

 

TOINETTE.- Ah, ah, le défunt n’est pas mort.

 

ARGAN, à Béline qui sort.- Je suis bien aise de voir votre amitié, et d’avoir entendu le beau panégyrique que vous avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur, qui me rendra sage à l’avenir, et qui m’empêchera de faire bien des choses.

 

BÉRALDE, sortant de l’endroit où il était caché.- Hé bien, mon frère, vous le voyez.

 

TOINETTE.- Par ma foi, je n’aurais jamais cru cela. Mais j’entends votre fille, remettez-vous comme vous étiez, et voyons de quelle manière elle recevra votre mort. C’est une chose qu’il n’est pas mauvais d’éprouver ; et puisque vous êtes en train, vous connaîtrez parlà les sentiments que votre famille a pour vous.

 

 

 

LL4 : Shakespeare, Songe d’une nuit d’été, V, 1 : le mariage de Thésée

 

 

 

Acte V, scène 1

 

 

 

LE MUR, s’avançant.

 

 

 

Dans ce même intermède il arrive que moi,

 

Le nommé marmiteux je représente un mur

 

Et ce mur se perçait, je vous prie de le croire,

 

D’un trou en forme de crevasse ou bien de fente,

 

Par où les amoureux, Pyrame et sa Thisbé,

 

Chuchotaient leur amour dans le plus grand secret.

 

Ce torchis, ce plâtras, cette pierre vous montrent

 

Que je suis bien un mur ; la vérité le veut.

 

Et que voici la fente, à droite comme à gauche,

 

Par où vont chuchoter les craintifs amoureux.

 

( il allonge les doigts)

 

 

 

THESEE

 

Peut on souhaiter que s’expirme mieux de la chaux à poil d’homme ?

 

DEMETRIUS

 

C’est la plus spirituelle muraille de science que j’aie jamais entendu discourir, Monseigneur.

 

Pyrame s’avance

 

 

 

THESEE

 

Voilà Pyrame qui s’approche du mur, silence !

 

PYRAME

 

O nuit inflexible ! ô nuit aux ténèbres si noire s !

 

O nuit qui est partout quand s’absente le jour !

 

O Nuit, ô nuit ! hélas, trois fois hélas !

 

Je crains bien que ma Thisbé n’ait oublié sa promesse.

 

Et toi ô mur, ô doux mur, ô délicieux,

 

Qui te dresse entre le terrain de son père et le mien,

 

Montre-moi donc ta fente où cligneront mes yeux.( Le mur obéit)

 

O merci, mur courtois, que Jupiter te protège pour la peine !

 

Mais que vois-je ? Ou plutôt que ne vois-je Thisbé ?

 

Méchant mur où je ne vois pas ma félicité,

 

Mur des déceptions, maudites soient tes pierres !

 

 

 

THESEE

 

A mon avis le mur qui est si sensible devrait riposter.

 

 

 

PYRAME

 

Non, monsieur, en vérité : «  Maudites soient tes pierres » introduit la réplique de Thisbé ; elle doit se montrer maintenant et je dois l’épier à travers le mur. Vous allez voir, ça va se passer tout comme je vous l’ai dit. La voilà qui vient.

 

 

 

( entre Thisbé)

 

 

 

THISBE

 

 

 

O mur qui tant de fois m’entendis gémir,

 

Toi qui me séparais de mon beau Pyrame.

 

Mes lèvres de cerise ont tant de fois baisé

 

TeS pierres où platras, poil humain ne font qu’un.  

 

 

 

PYRAME

 

 

 

J’aperçois une voix et je cours à la fente

 

Pour épier si on entend ton visage, Thisbé

 

Ma Thisbé

 

 

 

THISBE

 

 

 

O je crois que c’est toi, toi de l’autre côté.

 

Crois ce que tu voudras, ton gracieux amant

 

PYRAME

 

C’est moi, toujours aussi fidèle que Limandre.

 

THISBE

 

Moi comme Hélène avant que le destin me tue.

 

PYRAME

 

Shafale ne fut pas plus fidèle à procrus

 

THISBE

 

Moi pour toi c’est Shafale et toi pour moi Procrus !

 

PYRAME

 

Baise-moi par le trou de ce mur odieux.

 

THISBE

 

Je ne baise qu’un trou de mur te non vos lèvres

 

PYRAME

 

Veux tu me retrouver au tombeau de Minus ?

 

THISBE

 

J’y serai même morte et sans aucun délai

 

 

 

sortent Pyrame et Thisbé

 

 

 

Le MUR

 

Voilà comment moi, mur j’ai joué tout mon rôle

 

Et son rôle ainsi joué s’en va le mur

 

 

 

THESEE

 

Maintenant c’est la lune qui va séparer les deux voisins.

 

Qu’y faire Monseigneur, quand les murs sont assez têtus pour écouter sans prévenir.

 

 

 

HIPPOLYTA

 

Voilà la pièce la plus stupide que j’aie jamais entendue. 

 

Trad Jules Suypervilles, Flammario, coll GF, 2018, p 201-207

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Séquence 2 : L’argumentation 

 

Oeuvre Intégrale : Montaigne, Essais, des Coches (III,6) des Cannibales (I, 31)

 

 Parcours : «  Notre monde vient d’en découvrir un autre. »

 

 

 

·         EL 5 : Des Cannibales :  «  Or je trouve pour en revenir à mon sujet… imparfaites par la dernière »

 

·         EL 6: Des Cannibales: « Trois d’entre eux, ignorant combien coutera un jour...mais quoi ! ils ne portent point de hauts de hausses » p 31-32 lignes  478-516 

 

·         LL 7 : Diderot, Supplément au voyage de Bougainville

 

 

 

 

 

LL 5 : des Cannibales 

 

Montaigne, Les Essais, livre I, chapitre XXXI, 1588.

 

                Or je trouve, pour en revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté ; sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. Comme de vrai nous n’avons autre mire de la vérité et de la raison, que l’exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où à la vérité ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l’ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses, les vraies et plus utiles et naturelles, vertus et propriétés ; lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, les accommodant au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant la saveur même et délicatesse se trouvent, à notre goût même, excellentes à l’envi des nôtres en divers fruits de ces contrées-là, sans culture, ce n’est pas raison que l’art gagne le point d’honneur sur notre grande et puissante mère nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions que nous l’avons du tout étouffée. Si est-ce que partout où sa pureté reluit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises.

 

Et veniunt ederae sponte sua melius,

 

Surgit et in solis formosior arbutus antris

 

Et volucres nulla dulcius arte canunt.

 

            Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à décrire le nid du moindre oiselet, son agencement, sa beauté et son utilité, ni même la toile de la chétive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites ou par la nature, ou la fortune, ou par l’art ; les plus grandes et les plus belles, par l’une ou l’autre des deux premières ; les moindres et imparfaites par la dernière.

 

LL6 : Montaigne, des Cannibales, fin

 

 

 

Trois d’entre eux, ignorant combien coûtera un jour à leur quiétude et à leur bonheur la connaissance des corruptions de ce côté-ci de l’océan, et que de cette fréquentation naîtra leur ruine ( comme je présuppose qu’elle est déjà avancée, bien malheureux qu’ils sont de s’être laissé tromper par le désir de la nouveauté et d’avoir quitté la douceur de leur ciel pour venir voir le nôtre), se trouvèrent à Rouen au moment où feu roi Charles IX y était. Le roi leur parla longtemps ; on leur fit voir nos manières, notre faste, l’aspect extérieur d’une belle ville. Près cela, quelqu’un leur demanda ce qu’ils pensaient et voulut savoir d’eux ce qu’ils avaient trouvé plus surprenant : ils répondirent trois choses dont j’ai oublié la troisième- et j’en suis bien marri-, mais j’en ai encore deux en mémoire. Ils dirent qu’ils trouvaient en premier lieu fort étrange que tant d’homme grands, portant la barbe, forts et armés, qui étaient autour du roi ( il est vraisemblable qu’ils parlaient des Suisses de sa garde) consentissent à obéir à un enfant et qu’on ne choisît pas l’un d’entre eux pour commander ; secondement ( ils ont une expression de leur langage qui consiste à appeler les hommes moitié les uns des autres) qu’ils avaient remarqué qu’il y avait parmi nous des hommes remplis et gorgés de toutes sortes de bonnes choses et que leurs « moitiés » étaient mendiants à leurs portes, décharnés par la faim et la pauvreté ; et ils trouvaient étrange que ces « moitiés »-ci, nécessiteuses, pussent supporter une telle injustice sans prendre les autres à la gorge ou mettre le feu à leur maison.

 

 

 

Je parlai à l’un d’eux fort longtemps ; mais j’avais un interprète qui m’assistait mal et que sa bêtise empêchait tellement de comprendre  mes pensées que je ne pus guère tirer de plaisir de cet entretien. Quand je lui demandai quel profit il recueillait de la supériorité qu’il avait parmi les siens ( car c’était un chef et nos matelots l’appelaient roi), il me dit que c’était de marcher le premier à la guerre ; [ quand je demandai] de combien d’hommes il était suivi, il me montra un certain espace pour m’indiquer qu’il en avait autant qu’il pourrait y avoir en un tel espace : ce pouvait être quatre ou cinq mille hommes ; [ à la question de savoir] si, avec la guerre, toute son autorité prenait fin, il dit qu’il lui en restait ceci que, lorsqu’il visitait les villages dépendant de lui, on lui taillait des sentiers au travers des fourrés de leur bois par où il pût passer bien à l’aise.

 

 

 

Tout cela ne va pas trop mal ; mais quoi ! ils ne portent point de hauts-de-chausse.

 

 

 

 

 

LL 7 : Diderot, Supplément au voyage de Bougainville

 


Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : "Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? 0rou ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l'as dit à moi-même, ce qu'ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres : Ce pays est aux habitants de Tahiti, qu'en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n'es pas esclave : tu souffrirais plutôt la mort que de l'être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Tahitien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t'emparer comme de la brute, le Tahitien est ton frère.
Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous nos mœurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance, contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons.
Sommes-nous dignes de mépris, parce que nous n'avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quai nous vêtir. Tu es entré dans nos cabanes, qu'y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu'où tu voudras ce que tu appelles commodités de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s'arrêter, lorsqu'ils n'auraient à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, titre des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l'étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travailler ? Quand jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières la moindre qu'il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos. Va dans ta contrée t'agiter, te tourmenter tant que tu voudras ; laisse-nous reposer : ne nous entête là de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques.

 

 

 

Objet d’étude 3 : Le roman

 

OI : Madame de la Fayette, la Princesse de Clèves

 

Parcours : Individu, morale et société

 

 

 

LL 8 : Madame de La Fayette, La princesse de Clèves, apparition de l'héroïne

 

 

 

 Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l'éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté ; elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s'imaginent qu'il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Madame de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d'un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance. Mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême défiance de soi-même, et par un grand soin de s'attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d'une femme, qui est d'aimer son mari et d'en être aimée.

 


    Cette héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France ; et quoiqu'elle fût dans une extrême jeunesse, l'on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu'elle arriva, le vidame alla au-devant d'elle ; il fut surpris de la grande beauté de mademoiselle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grâce et de charmes.     

Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1678


 

 

 

 

LL 9  Madame de La Fayette, La princesse de Clèves, Le scène de rencontre

 

 

 

      Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisaient au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença, et comme elle dansait avec monsieur de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait, et à qui on faisait place. Madame de Clèves acheva de danser et pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna, et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que monsieur de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte, qu'il était difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir madame de Clèves pour la première fois, sans avoir un grand étonnement.

 

Monsieur de Nemours fut tellement surpris de sa beauté, que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini, sans leur donner le loisir de parler à personne, et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient point.

 

- Pour moi, Madame, dit monsieur de Nemours, je n'ai pas d'incertitude ; mais comme madame de Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j'ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.

 

- Je crois, dit madame la dauphine, qu'elle le sait aussi bien que vous savez le sien.

 

- Je vous assure, Madame, reprit madame de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.

 

- Vous devinez fort bien, répondit madame la dauphine ; et il y a même quelque chose d'obligeant pour monsieur de Nemours, à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l'avoir jamais vu.

 

La reine les interrompit pour faire continuer le bal ; monsieur de Nemours prit la reine dauphine. Cette princesse était d'une parfaite beauté, et avait paru telle aux yeux de monsieur de Nemours, avant qu'il allât en Flandre ; mais de tout le soir, il ne put admirer que madame de Clèves.

 

Le chevalier de Guise, qui l'adorait toujours, était à ses pieds, et ce qui se venait de passer lui avait donné une douleur sensible. Il prit comme un présage, que la fortune destinait monsieur de Nemours à être amoureux de madame de Clèves ; et soit qu'en effet il eût paru quelque trouble sur son visage, ou que la jalousie fit voir au chevalier de Guise au-delà de la vérité, il crut qu'elle avait été touchée de la vue de ce prince, et il ne put s'empêcher de lui dire que monsieur de Nemours était bien heureux de commencer à être connu d'elle, par une aventure qui avait quelque chose de galant et d'extraordinaire.

 

Madame de Clèves revint chez elle, l'esprit si rempli de tout ce qui s'était passé au bal, que, quoiqu'il fût fort tard, elle alla dans la chambre de sa mère pour lui en rendre compte ; et elle lui loua monsieur de Nemours avec un certain air qui donna à madame de Chartres la même pensée qu'avait eue le chevalier de Guise.