Objet d’étude n 2 : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle :
notre monde vient d'en découvrir un autre.
Oeuvre Intégale : Montaigne, Essais, des coches ( III,6) des cannibales (I, 31)
EL 5: Des Cannibales,: « Trois d’entre eux, ignorant combien coutera un jour...mais quoi ! ils ne portent point de hauts de hausses » p 31-32 lignes 478-516
EL 6 : Des Coches : « En navigant le long des côtes à la recherche de leurs mines d’or... voilà un exemple des balbutiements de ces enfants » p 59, lignes 556-592
EL 7 : Diderot : Supplément au voyage de Bougainville : de « Puis s’adressant à Bougainville »à contre tes inutiles lumières » ( p 94-95)
EL 8 :
LL5 7 : Montaigne, des Cannibales, fin
Trois d’entre eux, ignorant combien coûtera un jour à leur quiétude et à leur bonheur la connaisance des corruptions de ce côté-ci de l’océan, et que de cette fréquentation naîtra leur ruine ( comme je présuppose qu’elle est déjà avancée, bien malheureux qu’ils sont de s’être laissé tromper par le désir de la nouveautré et d’avoir quitté la douceur de leur ciel pour venir voir le nôtre), se trouvèrent à Rouen au moment où feu roi Charles IX y était. Le roi leur parla longtemps ; on leur fit voir nos manières, notre faste, l’aspect extérieur d’une belle ville. Près cela, quelqu’un leur demanda ce qu’ils pensaient et voulut savoir d’eux ce qu’ils avaient trouvé plus surprenant : ils répondirent trois choses dont j’ai oublié la troisième- et j’en suis bien marri-, mais j’en ai encore deux en mémoire. Ils dirent qu’ils trouvaient en premier lieu fort étrange que tant d’homme grands, portant la barbe, forts et armés, qui étaient autour du roi ( il est vraisemblable qu’ils parlaient des Suisses de sa garde) consentissent à obéir à un enfant et qu’on ne choisît pas l’un d’entre eux pour commander ; secondement ( ils ont une expression de leur langage qui consiste à appeler les hommes moitié les uns des autres) qu’ils avaient remarqué qu’il y avait parmi nous des hommes remplis et gorgés de toutes sortes de bonnes choses et que leurs « moitiés » étaient mendiants à leurs portes, décharnés par la faim et la pauvreté ; et ils trouvaient étrange que ces « moitiés »-ci, nécessiteuses, pussent supporter une telle injustice sans prendre les autres à la gorge ou mettre le feu à leur maison.
Je parlai à l’un d’eux fort longtemps ; mais j’avais un interprète qui m’assistait mal et que sa bêtise empêchait tellement de comprendre mes pensées que je ne pus guère tirer de plaisir de cet entretien. Quand je lui demandai quel profit il recueillait de la supériorité qu’il avait parmi les siens ( car c’était un chef et nos matelots l’appelaient roi), il me dit que c’était de marcher le premier à la guerre ; [ quand je demandai] de combien d’hommes il était suivi, il me montra un certain espace pour m’indiquer qu’il en avait autant qu’il pourrait y avoir en un tel espace : ce pouvait être quatre ou cinq mille hommes ; [ à la question de savoir] si, avec la guerre, toute son autorité prenait fin, il dit qu’il lui en restait ceci que, lorsqu’il visitait les villages dépendant de lui, on lui taillait des sentiers au travers des fourrés de leur bois par où il pût passer bien à l’aise.
Tout cela ne va pas trop mal ; mais quoi ! ils ne portent point de hauts-de-chausse.
LL 6 : Montaigne, Essais, des Coches
En naviguant le long des côtes à la recherche de leurs mines [d’or],quelques Espagnols prirent terre en une contrée fertile et agréable, fort habitée et ils firent à ce peuple leurs déclarations habituelles : « Qu’ils étaient des gens paisibles, arrivant après de longs voyages, envoyés de la part du roi de Castille, le plus grand prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant de Dieu sur la terre, avait donné la principauté de toutes les Indes ; que, s’ils voulaient être tributaires de ce roi, ils seraient traités avec beaucoup de bienveillance ; ils leur demandaient des vivres pour leur nourriture et de l’or dont ils avaient besoin pour quelque médicament ; ils leur faisaient connaître au demeurant la croyance en un seul Dieu et la vérité de notre religion qu’ils leur conseillaient d’accepter, ajoutant quelques menaces à ce conseil. » La réponse fut telle [que voici] : « Que, pour ce qui est d’être des gens paisibles, ils n’en portaient pas la mine, s’ils l’étaient ; quant à leur roi, puisqu’il demandait, il devait être indigentet nécessiteux, et celui qui avait fait cette distribution [de territoires] devait être un homme aimant la dissension puisqu’il donnait ainsi à un tiers une chose qui n’était pas sienne pour le mettre en conflit avec les anciens possesseurs ; quant aux vivres, [ils dirent] qu’ils leur en fourniraient ; de l’or, qu’ils en avaient peu et [ils ajoutèrent] que c’était une chose qu’ils ne tenaient en nulle estime parce qu’elle était inutile au service de leur vie tandis que tout leur souci visait seulement à la passer heureusement et agréablement ; pour cette raison, ce qu’ils en pourrait trouver, sauf ce qui était employé pour le service de leurs dieux, qu’ils le prissent sans hésiter ; quant au Dieu unique, [ils dirent que]l’idée leur en avait plu mais qu’ils ne voulaient pas changer leur religion après s’en être servi si utilement pendant si longtemps et qu’ils avaient l’habitude de ne prendre conseil que de leiurs amis et connaissances ; quant aux menaces, c’était[,dirent-ils,] un signe de manque de jugement que d’aller menacer des gens dontla nature et les forces [guerrières] leur étaient inconnues ; dans ces conditions,qu’ils se dépêchassent-et promptement- de quitter leur pays car ils n’avaient pas l’habitude de prendre du bon côté les civilités et les déclarations de gens armés et étrangers ; autrement, on ferait d’eux comme des autres, et ils leur montraient les têtes de certains hommes exécutés, autour de leur ville. » Voilà un exemple des balbutiements de ces enfants.
LL 7 : Supplément au voyage de Bougainville – Diderot
Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : "Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes
heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous
as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des
fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous
sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc,
pour faire des esclaves ? 0rou ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l'as dit à moi-même, ce qu'ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays
est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos pierres ou sur
l'écorce d'un de vos arbres : Ce pays est aux habitants de Tahiti, qu'en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé une des
méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n'es pas
esclave : tu souffrirais plutôt la mort que de l'être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Tahitien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux
t'emparer comme de la brute, le Tahitien est ton frère.
Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton
vaisseau ? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse
nous nos mœurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance, contre tes inutiles lumières. Tout ce qui
nous est nécessaire et bon, nous le possédons.
Sommes-nous dignes de mépris, parce que nous n'avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons
de quai nous vêtir. Tu es entré dans nos cabaties, qu'y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu'où tu voudras ce que tu appelles commodités de la vie ; mais permets à des êtres sensés
de s'arrêter, lorsqu'ils n'auraient à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, titre des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l'étroite limite du besoin, quand
finirons-nous de travailler ? Quand jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières la moindre qu'il était possible, parce que rien ne nous paraît
préférable au repos. Va dans ta contrée t'agiter, te tourmenter tant que tu voudras ; laisse-nous reposer : ne nous entête là de tes besoins factices, ni de tes vertus
chimériques.
Episodes lus plus précisément chez Montaigne en lecture cursive en classe :
Des Cannibales :
1. p 8-9 sur la nécessité de ne parler que de ce que l'on connaît
2. sur l'instabilité des continents et des connaissances
3. sur le choix des témoins
4. sur la notion de barbarie : p 25 : le cannibalisme
5. le mode de vie des indiens
6. contre l'imposture des prophètes
7 le cannibalisme
8. comparaison des façons de faire la guerre
Des Coches :
1. les honneurs et magnificences des rois p 44
2. comment employer l'argent public, p 45
3. les incas et les aztèques
4. la violence des conquêtes espagnoles
Parcours associé :
Lecture cursive : au choix
La controverse de Valladolid, JC Carrière (roman)
La conquête des îles de la terre ferme, Alexis Jenni
Rouge brésil, JC Rufin
Supplément au voyage de Bougainville,Diderot
Dissertation corrigée :
En quoi la découverte du nouveau monde nous permet-elle de fournir un nouveau regard sur l'ancien ?
À lire pour le : |
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Contenu du passage |
Idées importantes pour l'argumentation |
: du début à l. 305 : « …de la témérité de leur imposture » |
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l.1 à 14 |
Regard des Grecs sur les Romains |
Relativité ; sens du mot « barbare » |
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l. 15 à 69 |
Découverte du nouveau monde ; référence antique à un autre monde. |
Doute, limites du savoir humain |
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l. 70 à 90 |
Les mouvements des continents et des éléments naturels. |
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l. 91 à 109 |
Deuxième référence antique, rejetée. |
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l.110 à 139 |
Les témoignages des géographes. |
Nécessité d'être objectif dans sa description. |
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l.140 à 169 |
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l. 170 à 209 |
Pureté, naïveté des populations indigènes ; référence antique. |
Éloge de ces peuples rapprochés d'un idéal antique. Mythe du « bon sauvage » esquissé. |
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l. 210 à 275 |
Montaigne ethnographe, description des mœurs (habitat, nourriture, occupations, organisation sociale) |
Description neutre, objective ; démontre que ces peuples ont une véritable organisation sociale. (≠ sauvages n'obéissant qu'à l'instinct) |
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l. 275 à 305 |
Suite ; aspect plutôt moral : les prêtres et les prophéties. |
Éloge de l'honnêteté ; + valeurs des Tupinambas. |
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l. 305-355 |
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Citations sur Montaigne
Contre l’opinion :
Il faut juger les gens par la voix de la raison, et non par la voix de tout le monde , Cann, l 11
Sur le problème de la vanité en connaissance :
Nous embrassons tout, mais nous n’éteignons que du vent l 20-21
Sur le choix des sources : Cet homme que j’avais était un homme simple et fruste, ce qui et sue condition propre à produire un témoignage véridique, l 95
Sur l’ignorance :
Mais parce qu’ils ont sur nous cet avantage d’avoir vu la Palestine, ils veulent jouir du privilège de nous raconter des nouvelles de tout le reste du monde. / « Il faut avouer qu’il a l’air bien persan » Montesquieu, les lettres persanes
Sur l’ethocentrisme :
Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, etc.
Sur l’accumulation :
Quant à leur roi, puisqu’il demandait, il devait être indigent et nécessiteux , p 59
Sur la nature :
Il n’est pas légitime que l’art emporte le prix d’honneur sur notre grande et puissante mère Nature ( p 143 l 139-140)
Sur les qualités naturelles :
« nous avons nombre d’avantages sur nos ennemis qui sont des avantages empruntés et non pas nôtres »
Le renversement des valeurs
Nous pouvons donc bien appeler ces hommes barbares eu égard aux règles de la raison mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorts de barbarie.
Sur l’inégalité sociale : « ils avaient remarqué qu’il y avait parmi nous des hommes remplis et gorgés de toutes sortes de bonnes choses et que leurs moitiés étaient mendiants à leurs portes »
Ironie :« Mais quoi, ils ne portent pas de hauts de chausse ! »
Renaissance : contexte
XVè-XVIè en Europe ; transition entre le Moyen Âge et les Temps Modernes. Période de grandes transformations ; de nombreuses découvertes scientifiques et avancées techniques bouleversent le monde connu.
• 1450 : imprimerie, grâce à plusieurs progrès techniques (papier à la place du parchemin, métal réutilisable pour les caractères + presse à vis) ; les livres ne sont plus copiés à la main ; 1455 édition de la Bible puis traduction en langues vulgaires → grande influence sur la diffusion du savoir ; développement des bibliothèques.
• D'autres découvertes scientifiques : 1511-1513 : l'astronome Copernic, grâce aux progrès des mathématiques, déclare que le Soleil est au centre de l'univers (= héliocentrisme), contre la pensée médiévale (monde clos, comme une sphère, au centre duquel se trouve la Terre) ; Galilée perfectionne la lunette astronomique, permettant d'observer précisément la Lune, Vénus… En médecine : dissection, découverte de la circulation sanguine, progrès en chirurgie… Les progrès mathématiques révolutionnent également l'architecture et la peinture (proportions, perspective) : Renaissance des arts, au XVè en Italie et au XVIè en France. (Léonard de Vinci, ramené en France par François 1er)
• 1492 : découverte des Antilles puis du « Nouveau Monde » par Christophe Colomb.
• La Renaissance est traversée par un grand mouvement de pensée, caractérisé par l'importance du savoir, de la connaissance, dans le développement humain. Le savant est une figure souvent représentée, avec des attributs qui représentent la science. Érasme en fait partie ; d'autres humanistes : Montaigne, Thomas More. Mais aussi Luther et Calvin, des théologues qui commencent à remettre en question l'évolution de l'Église ; la critique qu'ils en font, l'exigence d'accès des croyants à la Bible provoquant la réaction de l'Église : naissance du mouvement de la Réforme et du Protestantisme.
• Une nouvelle vision de l'homme, dans laquelle le savoir, la connaissance, sa diffusion sont très importants. En particulier, la connaissance des « humanités », textes grecs et latins, est très importante : retour aux textes antiques, référence permanente pour les Humanistes.
• Au début du Moyen Âge : 3 continents connus, Europe, Afrique, Asie ; on représente le monde de façon symbolique, par des « cartes en TO » : l'océan entoure les trois continents séparés par des mers (T) ; c'est au fur et à mesure des grands voyages que la géographie se précise, que les cartes commencent à mentionner villes, massifs montagneux et principaux fleuves.
• 15 ans après sa découverte : continent américain est représenté comme un mince bande de terre ; disproportion par rapport aux continents de l'ancien monde. Peu de renseignements. Mais à la fin du XVIème siècle, le continent est beaucoup mieux connu : découverte très rapide.
Parcours associé :
En écho au texte de Montaigne , Des cannibales
Ce n’est pas, comme on pense, pour s’en nourrir, ainsi que faisaient anciennement les Scythes: c’est pour manifester une très grande vengeance. Et pour preuve qu’il en est bien ainsi, [voici un fait] : s’étant aperçu que les Portugais, (..) usaient contre eux, quand ils les prenaient, d’une autre sorte de mort qui consistait à les enterrer jusqu’à la ceinture et à leur tirer sur le reste du corps force coups de traits, puis à les pendre, ils pensèrent que ces gens-ci de l’ancien monde, en hommes qui avaient semé la connaissance de beaucoup de vices dans leur voisinage et qui étaient beaucoup plus grands maîtres qu’eux en toute sorte de méchanceté, n’adoptaient pas sans cause cette sorte de vengeance et qu’elle devait être plus pénible que la leur ; [alors] ils commencèrent à abandonner leur manière ancienne pour suivre celle-ci. Je ne suis pas fâché que nous soulignions l’horreur barbare qu’il y a dans une telle action, mais plutôt du fait que, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles à l’égard des nôtres.
Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par des tortures et des supplices un corps ayant encore toute sa sensibilité, à le faire rôtir petit à petit, à le faire mordre et tuer par les chiens et les pourceaux (comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche date, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion) que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé.
Chrysippe et Zénon, chefs de l’école Stoïque, ont bien pensé qu’il n’y avait aucun mal à se servir de notre chair, à quelque usage que ce fût pour notre besoin, et même d’en tirer de la nourriture, comme [le firent] nos ancêtres [quand], assiégés dans la ville d’Alésia, ils se résolurent à lutter contre la faim due à ce siège en utilisant les corps des vieillards, des femmes et autres personnes inutiles au combat.
Texte Echo 20e : Lévi Strauss, Race et civilisation
[…] Prenons le cas de l'anthropophagie qui, de toutes les
pratiques sauvages, est sans doute celle qui nous inspire le plus d'horreur et de dégoût. On devra d'abord en dissocier les formes proprement alimentaires, c'est-à-dire celles où l'appétit
pour la chair humaine s'explique par la carence d'autre nourriture animale, comme c'était le cas dans certaines îles polynésiennes. De telles fringales, nulle société n'est moralement protégée ;
la famine peut entraîner les hommes à manger n'inpoorte quoi : l'exemple récent des camps d'extermination le prouve.
Restent alors les formes d'anthropophagie qu'on peut appeler positives, celles qui relèvent d'une cause mystique, magique ou religieuse : ainsi l'ingestion d'une parcelle du corps d'un ascendant ou d'un fragment d'un cadavre ennemi, pour permettre l'incorporation de ses vertus ou encore la neutralisation de son pouvoir ; outre que de tels rites s'accomplissent le plus souvent de manière fort discrète, portant sur de menues quantités de matière organique pulvérisée ou mêlée à d'autres aliments, on reconnaîtra, même quand elles revêtent des formes plus franches, que la condamnation morale de telles coutumes implique soit une croyance dans la résurrection corporelle qui serait compromise par la destruction matérielle du cadavre,, soit l'affirmation d'un lien entre l'âme et le corps et le dualisme correspondant, c'est-à-dire des convictions qui sont de même nature que celles au nom desquelles la consommation rituelle est pratiquée, et que nous n'avons pas de raison de leur préférer. D'autant que la désinvolture vis-à-vis de la mémoire du défunt, dont nous pourrions faire grief au cannibalisme, n'est certainement pas plus grande, bien au contraire, que celle que nous tolérons dans les amphithéâtres de dissection."
Critique de l’accumulation européenne
texte de référence chez Montaigne : " P 59, des coches, Lecture linéaire : " Quant à leur roi, puisqu'il demandait, il devait être indigent et nécessiteux" , l 570
Jean de Léry :
[Le livre de Jean de Léry (1534-1613), pasteur
genevois, fut qualifié par Lévi-Strauss de "chef-d'œuvre de la littérature ethnographique". Ce Français d'origine partagea au Brésil la vie des Tupinambas, Indiens nus et anthropophages, dont il
décrivit la vie avec une exactitude et un esprit d'observation qui forcent en effet, aujourd'hui encore, l'admiration des ethnographes. Observateur, Léry est aussi juge et ne manque pas de faire
quelques digressions contre « les rapineurs, portant le titre de Chrétiens, qui ne font ici que sucer le sang et la moelle des autres ».]
Au reste, parce que nos Tupinambas sont fort ébahis de voir les Français et autres des pays lointains prendre tant de peine d'aller quérir leur Arabotan, c'est-à-dire bois de Brésil, il y eut une fois un vieillard d'entre eux, qui sur cela me fit telle demande : « Que veut dire que vous autres Mairs et Peros (c'est-à-dire Français et Portugais), veniez de si loin quérir du bois pour vous chauffer ? n'y en a-t-il point en votre pays ? » A quoi lui ayant répondu que oui, et en grande quantité, mais non pas de telles sortes que les leurs, ni même du bois de Brésil, lequel nous ne brûlions pas comme il pensait, mais (comme eux-mêmes en usaient pour rougir leurs cordons de coton, plumages et autres choses) que les nôtres l'emmenaient pour faire de la teinture, il me répliqua soudain : « Voire, mais vous en faut-il tant ? » « Oui lui dis-je, (…) un tel seul achètera tout le bois de Brésil dont plusieurs navires s'en retournent chargés de ton pays. » « Ha, ha, dit mon sauvage, tu me contes merveilles. » Puis ayant bien retenu ce que je lui venais de dire, m'interrogeant plus outre dit : « Mais cet homme tant riche dont tu me parles, ne meurt-il point ? » « Si fait, si fait, lui dis-je, aussi bien que les autres. » Sur quoi, comme ils sont aussi grands discoureurs, et poursuivent fort bien un propos jusqu’au bout, il me demanda derechef : « Et quand donc il est mort, à qui est tout le bien qu'il laisse ? » « A ses enfants, s'il en a, et à défaut à ses frères, sœurs, ou plus prochains parents.» « Vraiment, dit lors mon vieillard (lequel comme vous jugerez n'était nullement lourdaud), à cette heure connais-je que vous autres Mairs, (c'est à dire Français), êtes de grands fols : car vous faut-il tant travailler à passer la mer (comme vous nous dites étant arrivés par-deçà), sur laquelle vous endurez tant de maux, pour amasser des richesses ou à vos enfants ou à ceux qui survivent après vous ? la terre qui vous a nourris n'est-elle pas aussi suffisante pour les nourrir ? Nous avons (ajouta-t-il) des parents et des enfants, lesquels, comme tu vois, nous aimons et chérissons : mais parce que nous nous assurons qu’après notre mort la terre qui nous a nourris les nourrira, sans nous en soucier plus avant, nous nous reposons sur cela ».
Michel Tournier : Vendredi ou les limbes du pacifique( 1745s)
Déjà des hommes grimpaient le long des troncs à écailles pour faire tomber d’un coup de sabre les choux palmistes, et on entendait le rire de ceux qui poursuivaient les chèvres à la course. Robinson pensait, non sans orgueil, aux souffrances qu’il aurait endurées, à l’époque où il entretenait l’île comme une cité jardin, de la voir livrée à cette bande fruste et avide. Car si le spectacle de ces brutes déchaînées accaparait toute son attention, ce n’était ni les arbres stupidement mutilés ni les bêtes massacrées au hasard qui le retenaient, c’était le comportement de ces hommes, ses semblables, à la fois si familier et si étrange. A l’emplacement où s’était élevée autrefois la Pairie générale de Speranza, de hautes herbes se creusaient sous le vent avec un murmure soyeux. Un matelot y trouva coup sur coup deux pièces d’or. Il ameuta aussitôt ses compagnons à grands cris et, après des disputes hagardes, on décida d’incendier toute la prairie pour faciliter les recherches. L’idée effleura à peine Robinson que cet or était à lui, en somme, et que les bêtes allaient être privées de la seule pâture de l’île que la saison des pluies ne rendait jamais marécageuse. Les bagarres que ne manquaient pas de susciter chaque nouvelle trouvaille le fascinaient, et c’était d’une oreille distraite qu’il écoutait les propos du commandant qui lui racontait comment il avait coulé un transport de troupes français envoyé en renfort aux insurgés américains. De son côté, le second s’employait à l’initier au mécanisme si fructueux de la traite des esclaves africains, échangés contre du coton, du sucre, du café et de l’indigo, marchandises qui constituaient un frêt de retour idéal et qui s’écoulaient avantageusement au passage dans les ports européens. (… ) Robinson savait qu’il avait été semblable à eux, mû par les mêmes ressorts - la cupidité, l’orgueil, la violence - qu’il était encore des leurs par toute une part de lui-même. Mais en même temps il les voyait avec le détachement désintéressé d’un entomologiste penché sur une communauté d’insectes, des abeilles ou des fourmis, ou ces rassemblements suspects de cloportes qu’on surprend en soulevant une pierre.
Eloge de la vie simple
textes de référence chez Montaigne : p 15, l 175 :
"C'est une nation, dirais-je à Platon, dans laquelle il n'y a aucune espèce de commerce ; aucune connaissance des lettres, aucune science des nombres; aucun nom de magistrat ni de supériorité politique; aucun emploi de serviteurs..."
La Hontan Dialogues Curieux entre l'Auteur et un Sauvage de bon sens qui a voyagé (1703)
[Le baron Louis-Armand de la Hontan (1666-1715) débarque en novembre 1683 dans la baie de Québec, après avoir obtenu une lieutenance au régiment de Bourbon. Dans la Nouvelle-France, il partage la vie des Indiens et des Coureurs de bois, et il se prend immédiatement de sympathie pour la liberté des Sauvages. Ici, le « bon sauvage » est Adario, un Huron habitant le Canada, alors territoire français.
Ah ! vivent les Hurons qui sans lois, sans prisons, et sans tortures, passent la vie dans la douceur, dans la tranquillité, et jouissent d’un bonheur inconnu aux Français. Nous vivons simplement sous les lois de l’instinct, et de la conduite innocente que la Nature sage nous a imprimée dès le berceau. Nous sommes tous d’accord, et conformes en volonté. Ainsi, nous passons notre vie dans une si parfaite intelligence, qu’on ne voit parmi nous ni procès, ni disputes, ni chicanes. Ah ! Malheureux, que vous êtes à plaindre d’être exposés à des lois auxquelles vos juges ignorants, injustes et vicieux contreviennent autant par leur conduite particulière qu’en l’administration de leurs charges. Ce sont là les équitables juges qui manquent de droiture, qui ne rapportent leur emploi qu’à leurs intérêts, qui n’ont en vue que de s’enrichir, qui ne sont accessibles qu’au démon de l’argent, qui n’administrent la justice que par un principe d’avarice, ou par passion, qui autorisant le crime exterminent la justice et la bonne foi, pour donner cours à la tromperie, à la chicane, à la longueur des procès, à l’abus et à la violation des serments, et à une infinité d’autres désordres. Voilà ce que font ces grands souteneurs des belles lois de la nation française. (…) – Tout beau, mon cher ami, tu vas trop vite, crois-moi, tes connaissances sont si bornées comme je t’ai déjà dit, que la portée de ton esprit n’envisage que l’apparence des choses. Si tu voulais entendre raison, tu concevrais d’abord que nous n’agissons que sur de bons principes, pour le maintien de la société. (…) Premièrement, les lois défendent aux paysans de tuer ni lièvres, ni perdrix, surtout aux environs de Paris ; parce qu’ils dépeupleraient le royaume, s’il leur était permis de chasser. Ces gens-là ont reçu de leurs seigneurs les terres dont ils jouissent, et ceux-ci se sont réservé la chasse comme leurs maîtres.
Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1778.
Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : "Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes
heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous
as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des
fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous
sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc,
pour faire des esclaves ? 0rou ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l'as dit à moi-même, ce qu'ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays
est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos pierres ou sur
l'écorce d'un de vos arbres : Ce pays est aux habitants de Tahiti, qu'en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé une des
méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n'es pas
esclave : tu souffrirais plutôt la mort que de l'être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Tahitien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux
t'emparer comme de la brute, le Tahitien est ton frère.
Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton
vaisseau ? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse
nous nos mœurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance, contre tes inutiles lumières. Tout ce qui
nous est nécessaire et bon, nous le possédons.
La Hontan, Dialogues curieux entre l’Auteur et un sauvage de bon sens qui a voyagé
Adario - Si je n’étais pas si informé que je le suis de tout ce qui se passe en France, et que mon voyage à Paris ne m’eût pas donné tant de connaissances et de lumières, je pourrais me laisser aveugler par ces apparences extérieures de félicité, que tu me représentes ; mais ce prince, ce duc, ce maréchal et ce prélat qui sont les premiers que tu me cites, ne sont rien moins qu’heureux, à l’égard des Hurons, qui ne connaissent d’autre félicité que la tranquillité d’âme et la liberté. Or ces grands seigneurs se haïssent intérieurement les uns les autres, ils perdent le sommeil, le boire et le manger pour faire leur cour au roi, pour faire des pièces à leurs ennemis ; ils sont font des violences si fort contre nature pour feindre, déguiser et souffrir, que la douleur que l’âme en ressent surpasse l’imagination. N’est-ce rien à ton avis , mon cher frère, que d’avoir cinquante serpents dans le cœur, ne vaudrait-il pas mieux jeter carrosses, dorures, palais, dans la rivière, que d’endurer toute sa vie tant de martyres ? Sur ce pied-là, j’aimerais mieux si j’étais à leur place être Huron, avoir le corps nu et l’âme tranquille.(…) les grands seigneurs, dis-je, sont exposés à la disgrâce du roi, à la médisance de mille sortes de personnes, à la perte de leurs charges, au mépris de leurs semblables, en un mot leur vie molle est traversée par l’ambition, l’orgueil, la présomption et l’envie. Ils sont esclaves de leurs passions, et de leur roi, qui est l’unique français heureux, par rapport à cette adorable liberté dont il jouit tout seul. Tu vois que nous sommes un milier d’homme dans notre village, que nous nous aimons comme des frères… qu’enfin chacun est maître de soi-même, et fait tout ce qu’il veut, sans rendre compte à personne, et sans qu’on y trouve à redire. Voilà, mon frère, la différence qu’il y a de nous à ces princes, à ces ducs, etc.
Inégalités ou prodigalité du Roi ?
Textes de références chez Montaigne: "des Coches", p 45, l 166
" J'ajoute que l'on a raison de blâmer Théophraste d'avoir donné autorité, dans son livre sur les richesses, à un avis contraire, et d'avoir soutenu que des dépenses comme celles des jeux et des fêtes étaient le vrai fruit de l'opulence : " Ce sont des plaisirs, dit Aristote, qui n'intéressent que le plus bas peuple, qui s'évouissent aussitôt qu'on en est rassasiés, pour lesquels aucun homme qui a du jugement et qui est sérieux ne peut avoir d'estime." L'emploi de cet argent me semblerait bien plus royal comme plus utile, juste et durable s'il était fait pour des ports, des havres, des fortifications et des murs, pour des bâtiments somptueux, des églises, des hôpitaux, des collèges, pour la remise en état des rues et des chemins..."
Denis Veiras, Histoire des Sévarambes
Nous avons parmi nous des gens qui regorgent de biens et de richesses et d’autres qui manquent de tout. Nous en avons qui passent leur vie dans la fainéantise et dans la volupté, et d’autres qui suent incessamment pour gagner leur misérable vie. Nous en avons qui sont élevés en dignité et qui ne sont nullement dignes ni capables d’exercer les charges qu’ils possèdent. Et nous en avons enfin qui ont beaucoup de mérite mais qui manquant des biens de la fortune croupissent misérablement dans la boue et sont condamnés à une éternelle bassesse.
Mais parmi les Sévarambes, personne n’est pauvre, personne ne manque des choses nécessaires et utiles à la vie, et chacun a sa part aux plaisirs et aux divertissements publics, sans que, pour jouir de tout cela, il ait besoin de se tourmenter le corps et l’âme par un travail dur et accablant. Un exercice modéré de huit heures par jour lui procure tous ces avantages, à lui, à sa famille et à tous ses enfants, quand il en aurait mille. Personne n’a le soin de payer la taille, ni les impôts, ni d’amasser des sommes d’argent pour enrichir ses enfants, pour doter ses filles, ni pour acheter des héritages. Ils sont exempts de tous ces soins, et sont tous riches dès le berceau. Et si tous ne sont pas élevés aux dignités publiques, du moins ont-ils cette satisfaction de n’y voir que ceux que le mérite et l’estime de leurs concitoyens y ont élevés. Ils sont tous nobles et tous roturiers et nul ne peut reprocher aux autres la bassesse de leur naissance, ni se glorifier de la splendeur de la sienne. Personne n’a le déplaisir de voir vivre les autres dans l’oisiveté, pendant qu’il travaille pour nourrir leur orgueil et leur vanité. Enfin, si l’on considère le bonheur de ce peuple, on trouvera qu’il est aussi parfait qu’il le puisse être en ce monde, et que toutes les autres nations sont très malheureuses au prix de celle-là.
Le mythe du bons sauvage et l'utopie : Voltaire, Candide, 1759, l'Eldorado
Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d’un tissu de duvet de colibri ; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à l’appartement de Sa Majesté au milieu de deux files, chacune de mille musiciens, selon l’usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier comment il fallait s’y prendre pour saluer Sa Majesté : si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle ; en un mot, quelle était la cérémonie. « L’usage, dit le grand officier, est d’embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. » Candide et Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper.
En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu’aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles de liqueurs de cannes de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du girofle et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement ; on lui dit qu’il n’y en avait point, et qu’on ne plaidait jamais. Il s’informa s’il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathématiques et de physique.
Après avoir parcouru toute l’après-dînée à peu près la millième partie de la ville, on les ramena chez le roi. Candide se mit à table entre Sa Majesté, son valet Cacambo, et plusieurs dames. Jamais on ne fit meilleure chère, et jamais on n’eut plus d’esprit à souper qu’en eut Sa Majesté. Cacambo expliquait les bons mots du roi à Candide, et, quoique traduits, ils paraissaient toujours des bons mots. De tout ce qui étonnait Candide, ce n’était pas ce qui l’étonna le moins.
Les lettres Persanes
Rica à Ibben. À Smyrne. Les habitants de Paris sont d’une curiosité qui va jusqu’à l’extravagance. Lorsque j’arrivai, je fus regardé comme si j’avais été envoyé du ciel : vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres ; si j’étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi ; les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m’entourait. Si j’étais aux spectacles, je voyais aussitôt cent lorgnettes dressées contre ma figure : enfin jamais homme n’a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d’entendre des gens qui n’étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux : Il faut avouer qu’il a l’air bien persan. Chose admirable ! Je trouvais de mes portraits partout ; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées : tant on craignait de ne m’avoir pas assez vu. Tant d’honneurs ne laissent pas d’être à la charge : je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare ; et quoique j’aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d’une grande ville où je n’étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l’habit persan, et à en endosser un à l’européenne, pour voir s’il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d’admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement. Libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J’eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m’avait fait perdre en un instant l’attention et l’estime publique ; car j’entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu’on m’eût regardé, et qu’on m’eût mis en occasion d’ouvrir la bouche ; mais, si quelqu’un par hasard apprenait à la compagnie que j’étais Persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : « Ah ! ah ! monsieur est Persan ? C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? » À Paris, le 6 de la lune de Chalval, 1712.
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Remplacez l’expansion par une autre de classe grammaticale différente : Classes grammaticales possibles : adjectif qualificactif, Complément du nom ,Proposition subordonnée
1. Nous n’avons pas d’autre point de mire que l’exemple et l’image des opinions et des usages du pays où nous sommes
2. Les plus utiles et naturelles vertus et propriétés que nous avons abâtardies
3. Il n’est pas légitime que l’art emporte le prix d’honneur sur notre grande et puissante mère Nature.
4. Ils firent à ce peuple les déclarations habituelles
Relevez et commentez les négations suivantes, puis transfomrez-les en affirmations
1. « De l’or, qu’ils en avaient peu et que c’était une chose qu’ils ne tenaient en nulle estime parce qu’elle était intuile au service de leur vie »
2. « Qu’ils le prissent sans hésiter »
3. « Tout cela ne va pas trop mal »
Précisez où elles commencent et finissent, et si elles sont : interrogatives indirectes, circonstancielles, complétives, relatives
1. « Qu’ils étaient des gens paisibles... »
2. « Devait être un homme aimant la dissension puisqu’il donnait ainsi à un tiers une chose qui n’était pas sienne »
3. « C’était une chose qu’ils ne tenaient en nulle estime »
4. « Celui dont tu veux t’emparer comme de la brute est ton frère »
5. « Quant au dieu unique, ils dirent que l’idée leur en avait plu »
6. « Ce pays est à toi parce que tu y as mis le pied ? »
7. Il demandèrent s’ils voulaient leur donner leur or.
transformez la façon de faire ces phrases interrogatives
1. « Qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? » :
2. « Y a-t-il une plus belle réponse ? «
3. « Tu es entré dans nos cabanes, qu’y manque-t-il à ton avis ? »
Kessel Jan van, dit le vieux (Anvers, 1626 ; id., 1679)
Fils de Hieronymus van Kessel, Kessel le vieux fut l'élève de son oncle Jan II Brueghel et de Simon de Vos en 1634-1635. Reçu maître de la gilde d'Anvers en 1644, il se maria en 1647 et eut treize enfants dont deux furent peintres également. Il fut encore capitaine de la garde civile d'Anvers.
Artiste assez prolifique, il peignit, souvent sur cuivre et dans des formats réduits, un grand nombre de natures mortes et de guirlandes florales entourant un cartouche. Il produisit aussi de minuscules études de fleurs, de fruits et d'insectes qui constituent de véritables planches de botanique et de zoologie, sans oublier quelques scènes de genre d'un format parfois plus ambitieux, mais néanmoins traitées avec la même minutie et la même rigueur.
Cette œuvre tout à fait
exceptionnelle dans l'œuvre de Kessel le vieux et particulièrement rare sur le plan iconographique est en fait directement dérivée de l'une des planches illustrant le troisième volume des Grands
Voyages de Théodore Bry consacré au Brésil (Navigatio in Brasiliam Americae) et publié à Francfort en 1592. Les voyageurs français du milieu du 16e siècle qui avaient tenté, à l'instigation de
l'amiral de Coligny, d'établir dans une île de l'actuelle baie de Rio de Janeiro une colonie de la " France antarctique " furent en effet déconcertés par les mœurs anthropophages des
autochtones.
Certaines peuplades mangeaient leurs ennemis tués lors des combats afin, pensaient-ils, de s'en approprier la force. Les
prisonniers quant à eux étaient intégrés dans la tribu où ils étaient soignés et engraissés jusqu'au jour où ils devaient être consommés. Ils étaient alors mortellement assommés, leurs corps
découpés en morceaux et cuits par les femmes dans des marmites en terre avec de l'eau et du maïs. Il est beaucoup moins assuré que les membres fussent grillés sur le feu de bois comme du gibier ;
la broche où tourne notamment une jambe d'homme est probablement une invention des artistes européens qui exploitaient ainsi le goût du frisson et de l'horreur sans pour autant attribuer à ces
sauvages aucun trait de réelle brutalité.
Quoiqu'il en soit, il est intéressant de noter que de tels récits suscitaient encore la curiosité plusieurs décennies après les évènements. La singularité du thème y était sans doute pour quelque
chose et nous ne regretterons pas que Kessel le vieux l'ait traité avec tant de chatoiement
et d'habileté dans ce petit cuivre d'une grande qualité picturale bien digne de la main du neveu et élève de Brueghel de Velours.
Bibliographie :
Thierry Lefrançois, Musée du Nouveau Monde. Manuel du visiteur et de l'amateur, La Rochelle, 1990
Thierry Lefrançois, L'allégorie de l'Amérique à travers les collections du Musée du Nouveau Monde, La Revue du Louvre et des Musées de France, 1992
Expositions :
Brueghel, une dynastie de peintres, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 1980, n°21
Brésil baroque, Paris, Petit Palais, nov. 1999 - fév. 2000