Ekphrasis : trois façons de décrire un tableau: 1. Pisanello : le chevalier et la princesse, par Jean Giono, Marcel Proust et W. G. Sebald.

Proust, à la recherche du temps perdu, Tome VII

Giono, Voyage en Italie, Folio, p 80 :

W. G. Sebald, Vertiges, 2013, p 84 : ( Folio)

Sebald, Vertiges, p 60

Compléments sur Sebald et Tiepolo : http://www.wgsebald.de/tiepolo.html

Une Planche de l'Encyclopedie

 

La planche économie rustique : mouches à miel

 

 

 

Comme bien d'autres dans l'Encyclopédie, elle est composée d'une vue globale dans la partie supérieure, suivie d'une vue de détail. La première situe la notion à définir dans son contexte, ici, une exploitation apicole. La partie inférieure propose différentes vues techniques (les types d'abeilles, la structure alvéolaire des cadres recueillant le meil, les outils de l'apiculteur, etc...)La planche est donc conçue pour satisfaire au fonctionnement d'une pensée analytique, entre la vision globale de la notion, et l'étude des détails qui la composent, la dimension didactique des planches est à mettre en relation avec la volonté de vulgarisation des connaissances. Si l'instruction générale doit avant tout s'adresser au peuple, comme le préconise Condorcet, l'esprit encyclopédique permet également à ceux qui ont déjà reçu une instruction solide d'accroître le champ de leurs connaissances, en particulier dans les domaines techniques et les savoir-faire artisanaux, souvent méconnus des élites lettrées.

 

Compléments sur l'Encyclopédie: analyse de Roland Barthes dans ses Nouveau essais critiques de 1953:

http://www.ae-lib.org.ua/texts/barthes__nouveaux_essais_critiques__fr.htm#2

 

Les planches de l'« Encyclopédie »

Notre littérature a mis très longtemps à découvrir l'objet; il faut attendre Balzac pour que le roman ne soit plus seulement l'espace de purs rapports humains, mais aussi de matières et d'usages appelés à jouer leur partie dans l'histoire des passions : Grandet eût-il pu être avare (littérairement parlant), sans ses bouts de chandelles, ses morceaux de sucre et son crucifix d'or? Bien avant la littérature, l'Encyclopédie, singulièrement dans ses planches, pratique ce que l'on pourrait appeler une certaine philosophie de l'objet : c'est-à-dire qu'elle réfléchit sur son être, 'opère à la fois un recensement et une définition; le dessein technologique obligeait sans doute à décrire des objets; mais en séparant les images du texte, I''Encyclopédie s'engageait dans une iconographie autonome de l'objet, dont nous savourons aujourd'hui toute la puissance, puisque nous ne regardons plus ces illustrations à des fins pures de savoir, comme on voudrait le montrer ici.

 

Les planches de l'Encyclopédie présentent l'objet, et cette présentation ajoute déjà à la fin didactique de l'illustration une justification plus gratuite, d'ordre esthétique ou onirique : on ne saurait mieux comparer l'imagerie de l'Encyclopédie qu'à l'une de ces grandes expositions qui se font dans le monde depuis une centaine d'années, et dont, pour l'époque, l'illustration encyclopédique fut comme l'ancêtre : il s'agit toujours dans les deux cas à la fois d'un bilan et d'un spectacle : il faut aller aux planches de Y Encyclopédie (sans parler de bien d'autres motifs) comme on va aujourd'hui aux expositions de Bruxelles ou de New York. Les objets présentés sont à la lettre encyclopédiques, c'est-à-dire qu'ils couvrent toute la sphère des matières mises en forme par l'homme : vêtements, voitures, ustensiles, armes, instruments, meubles, tout ce que l'homme découpe dans le bois, le métal, le verre ou la fibre est ici catalogué, du ciseau à la statue, de la fleur artificielle au navire. Cet objet encyclopédique est ordinairement saisi par l'image à trois niveaux : anthologique lorsque l'objet, isolé de tout contexte, est présenté en soi; anecdotique, lorsqu'il est « naturalisé » par son insertion dans une grande scène vivante (c'est ce qu'on appelle la vignette); génétique, lorsque l'image nous livre le trajet qui va de la matière brute à l'objet fini : genèse, essence, praxis, l'objet est ainsi cerné sous toutes ses catégories : tantôt il est, tantôt il est fait, tantôt enfin il fait. De ces trois états, assignés ici et là à l'objet-image, l'un est certainement privilégié par l'Encyclopédie : celui de la naissance : il est bon de pouvoir montrer comment on peut faire surgir les choses de leur inexistence même et créditer ainsi l'homme d'un pouvoir inouï de création : voici une campagne; le plein de la nature (ses prés, ses collines, ses arbres) constitue une sorte de vide humain dont on ne voit pas ce qui pourrait sortir; cependant l'image bouge, des objets naissent, avant-coureurs d'humanité : des raies sont tracées sur le sol, des pieux sont enfoncés, des trous creusés; une coupe nous montre sous la nature déserte un réseau puissant de sapes et de filons : une mine est née. Ceci est comme un symbole : l'homme encyclopédique mine la nature entière de signes humains; dans le paysage encyclopédique, on n'est jamais seul; au plus fort des éléments, il y a toujours un produit fraternel de l'homme : l'objet est la signature humaine du monde.

On sait qu'une simple "matière peut donner à lire toute une histoire : Brecht a retrouvé l'essence misérable de la guerre de Trente ans en traitant à fond des étoffes, des osiers et des bois. L'objet encyclopédique sort de matières [90] générales qui sont encore celles de l'ère artisanale. Si nous visitons aujourd'hui une exposition internationale, nous percevrions à travers tous les objets exposés deux ou trois matières dominantes, verre, métal, plastique sans doute; la matière de l'objet encyclopédique est d'un âge plus végétal : c'est le bois qui domine dans ce grand catalogue; il fait un monde d'objets doux à la vue, humains déjà par leur matière, résistante mais non cassante, constructible mais non plastique. Rien ne montre mieux ce pouvoir d'humanisation du bois que les machines de l'Encyclopédie; dans ce monde de la technique (encore artisanale, car la grande industrie n'est pas née), la machine est évidemment un objet capital; or la plupart des machines de l'Encyclopédie sont en bois; ce sont d'énormes échafauds, fort compliqués, dans lesquels le métal ne fournit souvent que les roues dentelées. Le bois qui les constitue les tient assujetties à une certaine idée du jeu : ces machines sont (pour nous) comme de grands jouets; contrairement aux images modernes, l'homme, toujours présent dans quelque coin de la machine, n'est pas avec elle dans un simple rapport de surveillance; tournant une manivelle, jouant d'une pédale, tissant un fil, il participe à la machine, d'une façon à la fois active et légère; le graveur le représente la plupart du temps habillé proprement en monsieur; ce n'est pas un ouvrier, c'est un petit seigneur qui joue d'une sorte d'orgue technique dont tous les rouages sont à découvert; ce qui frappe dans la machine encyclopédique, c'est son absence de secret; en elle, il n'y a aucun lieu caché (ressort ou coffret) qui recèlerait magiquement l'énergie, comme il arrive dans nos machines modernes (c'est le mythe de l'électricité que d'être une puissance générée par elle-même, donc enfermée); l'énergie est essentiellement ici transmission, amplification d'un simple mouvement humain; la machine encyclopédique n'est jamais qu'un immense relais; l'homme est à un terme, l'objet à l'autre; entre les deux, un milieu architectural, fait de poutres, de cordes et de roues, à travers lequel, comme une lumière, la force [91] humaine se développe, s'affine, s'augmente et se précise à la fois : ainsi, dans le métier à marli, un petit homme en jaquette, assis au clavier d'une immense machine en bois, produit une gaze extrêmement fine, comme s'il jouait de la musique: ailleurs, dans une pièce entièrement nue, occupée seulement par tout un jeu de bois et de fHins, une jeune femme assise sur un banc tourne d'une main une manivelle, cependant que son autre main reste doucement posée sur son genou.

 

L'explosion de la caricature politique correspond toujours à des périodes de crises ; en outre elle est fortement liée au statut matériel du document et aux moyens de sa diffusion (image insérée dans un pamphlet, vendue en feuille volante ou en série, affiche, illustration d'un "occasionnel", dessin de presse paraissant dans un périodique illustré).

Sous l'Ancien régime, les caricatures politiques sont produites de plus en plus souvent en feuilles volantes exposées à la vue des passants dans les étals de marchands d'estampes, vendues à la pièce dans la rue par des crieurs et transportées par des colporteurs. A l'époque, les images sont vendues sans autorisation ni privilège royal mais peuvent cependant être saisies.

Charles Le Brun-Têtes et Yeux d'hommes
dans leurs rapports avec des têtes et des yeux d'animaux

Jean-Baptiste Bouchet - La poule d'Inde en Falbala : caricature d'une duchesse Jean-Baptiste Bouche - Le Bichon poudré : caricature d'un petit marquis

La Révolution

La Révolution de 1789 va multiplier ces images (mille cinq cents gravures satiriques entre 1789 et 1792) et la demande suscitée par l'actualité va être à l'origine d'un appareil de production organisé. Des journaux hebdomadaires comme Les Révolutions de France et de Brabant de Camille Desmoulins ou les Révolutions de Paris de l'éditeur Prudhomme font une large place au dessin, satirique pour l'un, d'inspiration plus "reportage" pour l'autre.

La presse royaliste publie de son côté des caricatures anti- révolutionnaires tandis qu'en 1793 le Comité de Salut Public demande au député David de "multiplier les gravures et les caricatures qui peuvent

 

 

réveiller l'esprit public et faire sentir combien sont atroces et ridicules les ennemis de la liberté et de la république".

Cité dans "La caricature, deux siècles de dérision salutaire", Historia, n° 651, mars 2000, p.52.

 

Jean-Baptiste Bouchet , le bichon poudré, caricature d'un petit marquis.

 

Cett caricature accentue les défauts de l'homme en l'animalisant, suivant en cela le processus d'analogie des Fables. Il s'appuie sur le ridicule des nobles qui  misent tout sur l'apparence mais ne sont pas des honnêtes hommes.

 

Un petit marquis est un aristocrate prétentieux et de peu de valeur. On  voit aussi cette critique dans les portraits caicaturaux que La Bruyère fait dans ses Caractères, par exemple dans le portrait de Philémon: " L'or éclate dites-vous sur les habits de Philémon. - Il éclate de meme chez les marchands. (...) Mais la broderie te les ornements y ajoutent encore de la magnificence- Je loue donc le travil de l'ouvrier." Ou encore chez Molière :"Pour le petit marquis qui me tint hier longtemps la main, je trouve qu'il n'y a rien de si mince que toute sa personne, et ce sont de ces mérites qui n'ont que la cape et l'épée, [Molière, Mis. V, 4]

 

 

 

Définitions du petit marquis dans le dictionnaire Littré:

 

·  3Aujourd'hui, simple titre de noblesse confirmé ou conféré par le souverain.

 

·  4Nom donné dans les comédies du XVIIe siècle à un personnage appartenant à la noblesse, mais ridicule. Molière : Vous, prenez garde à bien représenter avec moi votre rôle de marquis. - Mlle Molière : Toujours des marquis ! - Molière : Oui, toujours des marquis ; que diable voulez-vous qu'on prenne pour un caractère agréable de théâtre ? [Molière, Impromptu, 1] Comme, dans toutes les comédies anciennes, on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même, dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui fasse rire les autres, [Molière, ib. 1] Eh bien ! marquis, tu vois, tout rit à ton mérite ; Le rang, le cœur, le bien, tout pour toi sollicite ; Tu dois être content de toi par tout pays ; On le serait à moins ; allons, saute, marquis, [Regnard, Joueur, IV, 10]

 

·  5Nom donné par dérision aux jeunes gens qui prennent des airs avantageux, quelquefois avec un titre de marquisat ridicule. Les chevaliers de C sol ut [les chanteurs] doivent l'emporter sur les marquis de la capriole [les danseurs], [Dancourt, l'Été des coquettes, sc. 7]

 

 

 

 

 

 

 


Van Gogh, Champ de blé au faucheur

 

 

 

À Saint-Rémy-de-Provence, de mai 1888 à mai 1889, van Gogh est plusieurs fois confiné dans sa chambre malgré lui. Entre des crises majeures, il peint ce qu´il voit de sa fenêtre. Il supprime les barreaux. Cette peinture est réalisée depuis la fenêtre de sa chambre, à l’asile de Saint-Rémy, entre deux crises de folie contre laquelle il lutte et lui donne un sens par la peinture. Dans le dernier tableau de juin 1889,il semble qu'un soleil, qui a pris une place de plus en plus importante dans la création de Van Gogh accompagne – ou commande plutôt tant il est impérieux dans le paysage – la tâche du faucheur ; le blé doit être fauché pour accomplir la promesse de la semence, comme l’homme doit mourir au monde pour naître à Dieu. Il explique ce tableau en ces termes, dans une de ses magnifiques lettres à son frère Théo:

"J´y vis alors dans ce faucheur - vague figure qui lutte comme un diable en pleine chaleur pour venir à bout de sa besogne - j´y vis alors l´image de la mort, dans ce sens que l´humanité serait le blé qu´on fauche. C´est donc, si tu veux, l´opposition de ce semeur que j´avais essayé auparavant. Mais dans cette mort rien de triste, cela se passe en pleine lumière avec un soleil qui inonde tout d´une lumière d´or fin ... c´est une image de la mort telle que nous en parle le grand livre de la nature, mais ce que j´ai cherché c´est le presque en souriant. " (Cité par Jean Leymarie in Qui était van Gogh, Skira, 1968 )

Avec l´allusion au Semeur, tout Millet ou presque est présent. Monticelli aussi, avec le soleil qui inonde tout.Plus tard, Vlaminck l´instinctif, qui apprendra comme van Gogh à composer, lui rendra un bel hommage avec ses Ramasseurs de pommes de terre

Le 27 juillet 1890, van Gogh tentera de se suicider. Il mourra deux jours plus tard, sans que personne n´ait songé à le soigner, tant il paraissait apaisé, détaché, presque heureux.  Antonin Arthaud écrira : "Si je me tue, ce ne sera pas pour me détruire, mais pour me reconstituer."

 

http://youtu.be/7d6S8y2kYSg