Séquence 7 : Les Réécritures.
Le mythe d’Oedipe.
LA 17 : Sophocle, Œdipe Roi l’affrontement entre Œdipe et Tiresias, ed. Folio
Lectures complémentaires :
TC 1. Jean Cocteau, la machine infernale : Scène de Jocaste avec Tiresias
TC 2. Jean Cocteau, Scène finale
DC 3 : Œdipe explique l’énigme du Sphinx, Ingres, 1808
DC 4 : Œdipe et le Sphinx, 1864, Gustave Moreau
DC 5 : Un vase grec, Œdipe et le Sphinx.
Problématique : Contrairement à la séquence sur les réécritures dans la poésie humaniste, cette courte séquence (deux semaines) n’examine pas les réécritures de textes ou d’épisodes précis, mais en général la variation des registres et des interprétations sur l’ensemble du mythe au fur et à mesure des siècles. Le but est de montrer aussi le lien avec les peintres du XIXè siècle. Enfin, d’étudier le rôle des registres dans l’interprétation du mythe : du tragique au burlesque.
Sophocle Œdipe-roi , texte n°1.
Œdipe : Toi qui scrutes tout, ô Tirésias, aussi bien ce qui s’enseigne que ce qui demeure interdit aux lèvres humaines, aussi bien ce qui est du ciel que ce qui marche sur la terre, tu as beau être aveugle, tu n’en sais pas moins de quel fléau Thèbe est la proie. Nous ne voyons que toi, seigneur, qui puisses contre lui nous protéger et nous sauver. Phoebos consulté nous a conseillé ainsi. Un seul moyen nous est offert pour nous délivrer du fléau : c’est de trouver les assassins de Laïos, pour les faire ensuite périr ou les exiler du pays. Ne nous refuse donc ni les avis qu’inspirent les oiseaux, ni aucune démarche de la science prophétique, et sauve-toi, toi et ton pays, sauve-moi aussi, sauve-nous de toute souillure que peut nous infliger le mort.
Tirésias : Hélas ! hélas ! qu’il est terrible de savoir, quand le savoir ne sert de rien à celui qui le possède !(…)
Oedipe : Que dis-tu là ? il n’est ni normal ni conforme à l’amour que tu dois à Thèbes, ta mère de lui refuser un oracle.(…)
Tirésias : C’est que tous , tous, vous ignorez… mais non, n’attends pas de moi que je révèle mon malheur, pour ne pas dire le tien. (…)
Oedipe : Ainsi, ô le plus méchant des méchants- car vraiment tu mettrais en fureur un roc-ainsi tu ne veux rien dire, tu prétends te montrer insensible, entêté à cepoint ?
Tirésias : Tu me reproches mon furieux entêtement, alors que tu ne sais pas voir celui qui loge chez toi, et c’est moi qu’ensuite tu blâmes ! (…)
Oedipe : Et bien soit ! Dans la fureur où je suis, je ne cèlerai rien de ce que j’entrevois. Sache donc qu’à mes yeux, c’est toi qui as tramé le crime, c’est toi qui l’as commis- à cela près que ton bras n’a pas frappé.(..)
Tirésias : Vraiment ? et bien je te somme, moi, de t’en tenir à l’ordre que tu as proclamé toi-même, et de ne plus parler de ce jour à qui que ce soit, ni à moi, ni à ces gens ; car sache-le, c’est toi le criminel qui souilles ce pays !
Oedipe : Quoi, tu as l’impudence de lâcher pareil mot ! Mais comment crois-tu te dérober ensuite ?
Tirésias : Je demeure hors de tes atteintes, en moi vit la force du vrai.
Oedipe : Et qui t’aurait appris le vrai ? Ce n’est certes pas ton art.
Tirésias: C’est toi, puisque tu m’as poussé à parler malgré moi.
Oedipe : Et à dire quoi ? répète, que je sache mieux.
Tirésias : Je dis que c’est toi l’assassin recherché.(..) Sans le savoir, tu vis dans un commerce infâme avec les plus proches des tiens, et sans te rendre compte du degré de misère où tu es parvenu. (…)
Oedipe : Tu ne vis, toi que de ténèbres, comment pourrais-tu nuire à moi, comme à quiconque voit la clarté du jour ?(..) Ah ! richesse, couronne, savoir surpassant tous les autres savoirs, vous faites sans doute la vie enviable(...) . Créon, le loyal Créon, cherche aujourd’hui sournoisement à me jouer, à me chasser d’ici, et il a pour cela suborné ce faux prophète(..) dont les yeux sont ouverts au gain, mais tout à fait clos pour son art. Car enfin, quand donc as-tu été un devin véridique ? Pourquoi, quand l’ignoble Chanteuse était dans nos murs, ne disais-tu pas à ces citoyens le mot qui les eût sauvés ? (..) Et cependant, j’arrive, moi Œdipe, ignorant de tout, et c’est moi, moi seul qui lui ferme la bouche, sans rien connaître des présages, par ma seule présence d’esprit. (…)
Tirésias : Tu règnes ; mais j’ai mon droit aussi, que tu dois reconnaître, le droit de te répondre point pour point à mon tour, et il est à moi sans conteste. Je ne suis pas à tes ordres, je suis à ceux de Loxias ; je n’aurai pas dès lors à réclamer le patronage de Créon. Et voici ce que je te dis. Tu me reproches d’être aveugle ; mais toi, toi qui y vois, comment ne vois-tu pas à quel point de misère tu te trouves à cette heure ?(…) Bientôt, comme un double fouet, la malédiction, qui approche terrible, va te chasser d’ici. Tu vois le jour, bientôt tu ne verras que la nuit. Quels bords ne rempliras-tu pas bientôt de tes clameurs ? Lorsque tu comprendras quel rivage inclément fut pour toi cet hymen où te fit aborder un trop heureux voyage !(…) Après cela, va, insulte Créon, insulte mes oracles, jamais homme avant toi n’aura plus durement été broyé du sort.
Oedipe : Ah ! peut-on tolérer d’entendre parler de la sorte ? Va-t-en à la male heure, et vite ! Vite, tourne le dos à ce palais. Loin d’ici, va- t-en !
Sophocle, Œdipe-roi, ed. Folio, p 195- 200
Sophocle Œdipe-roi , texte n°1 : plan
.
I. Un échange fondé sur le renversement
Le changement de l’attitude de Tirésias : au début, il retient l’affrimation et plaint sincèrement oedipe sur son destin, puis il répète plusieurs fois l’iformation et même en rajoute sr ce qu’oedipe n’avait pas demandé ( l’incetse), avec colère plus qu’avec apitoyement.
II. le problème de la connaissance / savoir et pouvoir
a. n’est pas savant qui croit l’être
tout un jeu d’inversion entre celui qui croit savoir et celui qui sait vraiment
b. Deux interprétations différentes du pouvoir: Oedipe est du côté de l’homme, il croit en ses facultés de sauver une ville, de remédier à un problème, Tirésias est au contraire beaucoup plus fataliste, puisqu’il sait que l’on ne pourra rien changer à ce qui a été prévu d’atroce contre Oedipe par les dieux : « Quand le savoir ne sert de rien à celui qui le possède. »
ceci implique deux conceptions différentes du pouvoir :Deux pouvoirs en concurrence, religieux et politique : l’un est religieux, de l’ordre du savoir, de la divination : « Je ne suis pas à tes ordres, je suis à ceux de Loxias », l’autre est de l’ordre du pouvoir politique, lié au savoir selon lui : « Ah richesse, couronne, savoir surpassant tous les autres savoirs ! »
c. savoir physique et savoir métaphysique Clairvoyance et aveuglement
-les jeux de métaphores : « tu ne vis, toi , que de ténèbres, comment pourrais-tu donc me nuire, à moi comme à quiconque voit la clarté du jour ? » Ceci s’inverse dans la phrase suivante : « Tu vois le jour, tu ne verras bientôt plus que la nuit ». sens propre et sens figurés sont mélangés.
III. Une situation éminement tragique
a. les horreurs se produisent entre les personnes qui ont les liens les plus resserrés, par exemple les liens familiaux.
b. l’hubris : l’homme s’illusionne sur ses propres pouvoirs : « par ma seule présence d’esprit » : les dieux punissent l’orgueil de l’homme qui se croit plus fort que la parole des dieux.
c. l’homme est confronté à un destin qui le dépasse, sur lequel il n’a plus de maitrise, il commet une faute sans s’en rendre compte. L’intelligence humaine ne peut plus lutter contre la malignité des dieux.
d. le héros tragique est d’autant plus faible que toute son énergie ( ici, l’entêtement d’Oedipe à chercher le coupable et à le punir pour délivrer Thèbes du fléau) se retourne contre lui.
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Séquence n°1, texte n°2, Jean Cocteau, La machine infernale
Extrait n°1 de La machine infernale
« LA VOIX DE JOCASTE , en bas des escaliers. Elle a un accent très fort : cet accent international des royalties. Encore un escalier ! Je déteste les escaliers ! Pourquoi tous ces escaliers ? On n’y voit rien ! Où sommes-nous ?
LA VOIX DE TIRESIAS : Mais Madame, vous savez ce que je pense de cette escapade, et que ce n’est pas moi…
LA VOIX DE JOCASTE : Taisez-vous Zizi, vous n’ouvrez la bouche que pour dire des sottises. Voilà bien le moment de faire la morale.
LA VOIX DE TIRESIAS : Il fallait prendre un autre guide. Je suis presque aveugle.
LA VOIX DE JOCASTE : A quoi sert d’être devin, je vous le demande !Vous ne savez même pas où se trouvent les escaliers. Je vais me casser une jambe ! Ce sera de votre faute, Zizi, votre faute, comme toujours.
TIRESIAS : Mes yeux de chair s’éteignent au bénéfice d’un oeil intérieur, d’un œil qui rend d’autres services que de compter les marches des escaliers !
JOCASTE : les voilà vexé avec son œil ! Là !Là ! On vous aime, Zizi ; mais les escaliers me rendent folle. Il fallait venir, Zizi, il le fallait !
TIRESIAS : Madame…
JOCASTE : Ne soyez pas têtu. Je ne me doutais pas qu’il y avait ces maudites marches. Je vais monter à reculons. Vous me retiendrez. N’ayez pas peur, c’est moi qui vous dirige. Mais si je regardais les marches, je tomberais. Prenez-moi les mains, en route ! Ils apparaissent
Là…là…là…quatre, cinq, six, sept…
…Jocaste arrive sur la plate-forme et se dirige vers la gauche. Tirésias marche sur le bout de son écharpe. Elle pousse un cri.
TIRESIAS : Qu’avez-vous ?
JOCASTE : C’est votre pied, Zizi ! Vous marchez sir mon écharpe.
TIRESIAS : Pardonnez-moi…
JOCASTE : Encore, il se vexe ! Mais ce n’est pas contre toi que j’en ai.. c’est contre cette écharpe ! Je suis entourée d’objets qui me détestent ! Tout le jour cette écharpe m’étrangle. Une fois, elle s’accroche aux branches, une autre fois, c’Ets le moyeu d’un char où elle s’enroule, une autre fois tu marches dessus. C’est un fait exprès. Et je la crains, je n’ose pas m’en séparer. C’est affreux ! c’est affreux ! Elle me tuera.
TIRESIAS : Voyez dans quel état sont vos nerfs.
JOCASTE : Et à quoi sert ton troisième œil, je demande ? As-tu trouvé le Sphinx ? as-tu trouvé les assassins de Laïus ? As-tu calmé le peuple ? On met des gardes à ma porte et on me laisse avec des objets qui me détestent, qui veulent ma mort !
TIRESIAS : Sur un simple racontar…
JOCASTE : Je sens les choses. Je sens les chose mieux que vous tous ! (Elle montre son ventre.) Je les sens là ! A-t-on fait tout ce qu’on a pu pour découvrir les assassins de Laïus ?
TIRESIAS : Madame sait bien que les Sphinx rendait les recherches impossibles.
JOCASTE : Et bien moi, je me moque de vos entrailles de poulets…Je sens, là,…que Laïus souffre et qu’il veut se plaindre. J’ai décidé de tirer cette histoire au clair, et d’entendre moi-même ce jeune garde ; et je l’en-ten-drai. Je suis votre reine, Tirésias, ne n’oubliez pas.
TIRESIAS : Ma petite brebis, il faut comprendre un pauvre aveugle qui t’adore, qui veille sur toi et qui voudrait que tu dormes dans ta chambre au lieu de courir après une ombre, une nuit d’orage, sur les remparts.
JOCASTE : Je ne dors pas.
TIRESIAS : Vous ne dormez pas ?
JOCASTE : Non je ne dors pas. Le Sphinx, le meurtre de Laïus m’ont mis les nerfs à bout. Tu vais raison de me le dire. Je ne dors pas et c’est mieux, car, si je m’endors une minute, je fais un ^rêve, un seulet je reste malade toute la journée.
TIRESIAS : N’est-ce pas mon métier de déchiffrer les rêves ?..
JOCASTE : L’endroit du rêve ressemble un peu à cette plate-forme ; alors je te le raconte. Je suis debout, la nuit ; je berce une espèce de nourrisson. Tout à coup, ce nourrisson devient une pâte gluante qui me cule entre les doigts. Je pousse un hurlment et j’essaie de lancer cette pâte ; mais… ô Zizi… Si tu savais, c’est immonde… Cette chose, cette pâte reste liée à moi et quand je me crois libre, la pâte revient à toute vitesse et gifle ma figure. Et cette pâte est vivante. Elle a une espèce de bouche qui se colle sur ma bouche. Et elle se glisse partout : elle cherche mon ventre, mes cuisses. Quelle horreur ! »
Jean Cocteau, extrait de La machine infernale,
Acte I, ed. Livre de Poche, pp 47-50
Situation du texte :
Les sentinelles du palais de Jocaste ont rencontré à plusieurs reprises, pendant la nuit, le fantôme de « Laïus », et la reine décide de se rendre elle-même sur els lieux pour les interroger. Tirésias l’accompagne contre son gré.
Observations :
1/ Quelles phrases vous semblent un souvenir du texte de Sophocle ?
- Oedipe reprochant à Tirésias de ne ps etre un vrai devin puisqu’il n’a pas deviné l’énigme du Sphinx.
- C’est jocaste qui conduit Tirésias, alors que chez Sophocle c’est un enfant => joc est-ell eun enfant ?
2/ Quels sentiments vous inspirent ces personnages ?
Peu de respect, il sont infantiles et peu crédibles.
3/ Comment sont traités les thèmes du destin et des messages divins ?
Le destin est intériorisé, il est ressenti corporellement par Jocaste, les pressentiments ne sont plus du ressort des dieux masi des hommes, Jocaste pressent plus que Tirésias.
4/ Trouvez en quoi Cocteau s’éloigne de Sophocle.
A partc ela, dans la configuration : interroger un fantôme est une traidction que l’on retrouve dans le théatre grec, par exmeple dans les Perse, d’eschyle : masi elle est plus ici une allusion à l’acte I, scène & de Mabeth de shaks, oùle fantome de celui qui a été tué se présente, plus
5/ Trouvez une problématique.
Comment le texte de Sophocle a –til été modernisé par Jean Cocteau ?
texte n°3 : Sophocle, Antigone, (début)
cf feuille photocopiée
Problématique : en quoi cette scène d’exposition révèle-t-elle une situation et un personnage tragique ?
I . L’affrontement de deux diké, représentée par Ismène et Antigone
a. arguments d’Antigone ;
- lois de la famille
- le respect du royaume des morts
b. arguments d’Ismène :
-lois de la cité
- fuite de la malédiction familiale
-plaidoyer pour la mesure ( il ne faut pas tenter l’impossible)
II. faiblesse des deux argumentations
- des hommes
-de la cité
- de son égoïsme
- à la haine
- à l’orgueil
- à l’excès ( hubris)
texte n°4 : Sophocle Antigone : affrontement Créon/ Hémon (cf page suivante)
Problématique : Comment ce texte illustre-t-il l’échec d’un débat sur a conduite d’une cité ?
I. Une réflexion sur la justice : Créon, un tyran isolé
a. le pouvoir loin du peuple
b. le pouvoir loin des dieux
c. le pouvoir loin de la famille
II. Une argumentation biaisée
a. flatteries ambiguës de Hémon et leçons philosophiques générales
b. dépréciations non fondées de Créon, arguments ad personam
c. un dialogue fondé sur des malentendus et qui tourne à vide
III. Un passage fondé sur des inversions
a. Vieux/ jeune : le vieillard, qui normalement est sage, est celui qui tient le rôle du fou par rapport au jeune
b. Vie, jeunesse/ mort : celui qui et le plus jeune , et qui devrait vivre le plus longtemps est celui qui mourra ( cf dernière phrase)
c. Homme/ femme : Antigone tient le rôle d’un homme car elle semble influencer Hémon, Créon tient le rôle d’une femme selon Hémon car il se laisse aller à ses émotions
d. Conciliation/ affrontement : malgré le début consensuel de la scène, les parties s’aigrissent à la fin.
Oedipe, personnage de la mythologie grecque, répond à l'énigme posée par le sphinx, monstre fabuleux. Le tableau fut d'abord une étude de figure qui constituait un des "envois de Rome" d'Ingres. Puis, près de vingt ans plus tard, Ingres l'agrandit pour en faire un tableau d'histoire. Il atténua l'archaïsme de la toile primitive : Oedipe reste une figure d'une harmonie formelle exceptionnelle.
Dans un paysage rocheux et escarpé, Oedipe, personnage de la mythologie grecque, est nu, de profil, face au sphinx. Ce monstre, au visage et au buste de femme, au corps de lion et aux ailes
d'oiseau, s'est placé dans l'ombre d'une grotte. Oedipe donne la solution de l'énigme que le sphinx lui a posée comme à tout voyageur passant dans cet endroit de la région de Thèbes. Lorsque le
monstre lui demanda : "Quel est l'être doué de la voix qui a quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir ? ",
Oedipe répondit qu'il s'agit de l'Homme puisque, enfant, il marche à quatre pattes, adulte, il marche sur ses deux jambes, et, vieux, il s'aide d'une canne.
Au bas du tableau, un pied coupé et des ossements humains évoquent les voyageurs précédents qui ont péri après avoir échoué à répondre. Au fond, un compagnon d'Oedipe épouvanté s'enfuit. On
devine plus loin encore des constructions de la ville de Thèbes.
Le thème de l'oeuvre est celui du triomphe de l'intelligence et de la beauté humaine. Cette scène est aussi celle de l'homme face à son destin puisque l'exploit d'Oedipe l'amène à devenir roi de
Thèbes et à épouser sa mère Jocaste, comme l'oracle l'avait annoncé à sa naissance. Si, depuis la fin de l'Antiquité jusqu'à Ingres, ce sujet avait été rarement traité, en revanche au XIXe
siècle, il passionna de nombreux artistes, notamment Gustave Moreau (1826-1898).
L'oeuvre constitua en 1808 le premier "envoi de Rome" d'Ingres. C'était alors simplement une étude de figure (une "académie") comme devait en faire tout pensionnaire de l'académie de France à Rome. Elle fut envoyée à Paris avecLa Baigneuse Valpinçon (Paris, musée du Louvre) pour y être soumise au jugement des membres de l'Institut. Ceux-ci critiquèrent le modelé peu appuyé, le clair-obscur trop faible d'Oedipe. En 1827, Ingres reprit cette étude pour en faire un tableau d'histoire qu'il voulait exposer au Salon. Il élargit la toile de trois côtés pour agrandir la figure du Sphinx et ajouter celle du compagnon du voyageur à l'arrière-plan.
Comme le règlement de l'Institut le demandait, Ingres a peint son étude de figure d'après un modèle vivant. Il fit poser celui-ci dans l'attitude de la statue antique Hermès à la sandale (Paris, musée du Louvre). Cette pose met en valeur les muscles du corps du modèle, sa force, sa détermination. Son corps, ses membres et les javelots qu'il tient dessinent des formes géométriques harmonieuses. La netteté des contours, l'emploi réduit du clair-obscur et le léger modelé de surface utilisé pour la figure d'Oedipe confèrent un aspect archaïque au tableau. Cet archaïsme trouvait sa source dans le goût d'Ingres pour les vases grecs. La transformation de la toile en 1827 a atténué ce caractère archaïque de la composition et lui a donné une apparence plus moderne, sinon romantique. Ingres a alors rendu certaines parties plus sombres et peint le personnage ajouté avec une expression d'effroi.
- ROSENBLUM Robert, Ingres, Cercle d'art, Paris, 1968, pp. 80-81.
- KORCHANE Mehdi, in Maestà di Roma. Da Napoleone all'unità d'Italia. D'Ingres à Degas. Les artistes français à
Rome, catalogue d'exposition, Rome, Académie de France à Rome, Villa Médicis, Rome, Electa, 2003, pp. 489-490.
Au moment où, s'étant dégagé, il s'élance, la porte s'ouvre. Œdipe aveugle apparaît.
Il sort. Créon chasse le berger.
Il lui tient le bras et écoute, la tête penchée.
Rumeurs sinistres. La petite Antigone, les cheveux épars, apparaît à la logette.
Elle rentre.
ANTIGONE
Tirésias t'offre son bâton.
ŒDIPE
Antigone s'accroche à sa robe
TIRESIAS
Halte !
CREON
Je deviens fou. Pourquoi, pourquoi a-t-il fait cela ? Mieux valait la mort.
TIRESIAS
Son orgueil ne le trompe pas. Il a voulu être le plus heureux des hommes, maintenant il veut être le plus malheureux.
ŒDIPE
Qu'on me chasse, qu'on m'achève, qu'on me lapide, qu'on abatte la bête immonde.
ANTIGONE
Père !
ŒDIPE
Laisse-moi... ne touche pas mes mains, ne m'approche pas.
TIRESIAS
Antigone !
Mon bâton d'augure. Offre-le-lui de ma part. Il lui portera chance.
Antigone embrasse la main de Tirésias et porte le bâton à Œdipe.
Il est là ?... J'accepte, Tirésias... J'accepte... Souvenez-vous, il y a dix-huit ans, j'ai vu dans vos yeux que je deviendrais aveugle et je n'ai pas su comprendre. J'y vois clair, Tirésias, mais je souffre... J'ai mal... La journée sera rude.
CREON
Il est impossible qu'on le laisse traverser la ville, ce serait un scandale épouvantable.
TIRESIAS, bas.
Une ville de peste ? Et puis, vous savez, ils voyaient le roi qu'Œdipe voulait être ; ils ne verront pas celui qu'il est.
CREON
Vous prétendez qu'il deviendra invisible parce qu'il est aveugle.
TIRESIAS
Presque.
CREON
Eh bien, j'en ai assez de vos devinettes et de vos symboles. J'ai ma tête sur mes épaules, moi, et les pieds par terre. Je vais donner des ordres.
TIRESIAS
Votre police est bien faite, Créon ; mais où cet homme se trouve, elle n'aurait plus le moindre pouvoir.
CREON
Je...
Tirésias l'empoigne par le bras et lui met la main sur la bouche... Car Jocaste paraît dans la porte. Jocaste morte, blanche, belle, les yeux clos. Sa longue écharpe enroulée autour du
cou.
ŒDIPE
Jocaste ! Toi ! Toi vivante !
JOCASTE
Non, Œdipe. Je suis morte. Tu me vois parce que tu es aveugle ; les autres ne peuvent plus me voir.
ŒDIPE
Tirésias est aveugle...
JOCASTE
Peut-être me voit-il un peu.. mais il m'aime, il ne dira rien...
ŒDIPE
Femme ! ne me touche pas...
JOCASTE
Ta femme est morte pendue, Œdipe. Je suis ta mère. C'est ta mère qui vient à ton aide... Comment ferais-tu rien que pour descendre seul cet escalier, mon pauvre petit ?
ŒDIPE
Ma mère !
JOCASTE
Oui, mon enfant, mon petit enfant... Les choses qui paraissent abominables aux humains, si tu savais, de l'endroit où j'habite, si tu savais comme elles ont peu d'importance.
ŒDIPE
Je suis encore sur la terre.
JOCASTE
A peine...
CREON
II parle avec des fantômes, il a le délire, la fièvre, je n'autoriserai pas cette petite...
TIRESIAS
Ils sont sous bonne garde.
CREON
Antigone ! Anfigone ! je t'appelle...
ANTIGONE
Je ne veux pas rester chez mon oncle ! Je ne veux pas, je ne veux pas rester à
la maison. Petit père, petit père, ne me quitte pas ! Je te conduirai, je te dirigerai...
CREON
Nature ingrate.
ŒDIPE
Impossible, Antigone. Tu dois être sage... je ne peux pas t'emmener.
ANTIGONE
Si ! si !
ŒDIPE
Tu abandonnerais Ismène ?
ANTIGONE
Elle doit rester auprès d'Etéocle et de Polynice. Emmène-moi, je t'en supplie ! Je t'en supplie ! Ne me laisse pas seule ! Ne me laisse pas chez mon oncle ! Ne me laisse pas à la maison.
JOCASTE
La petite est si fière. Elle s'imagine être ton guide. Il faut le lui laisser croire.
Emmène-la. Je me charge de tout.
ŒDIPE
Oh !...
JOCASTE
Tu as mal ?
ŒDIPE
Il porte la main à sa tête.
Oui, dans la tête et dans la nuque et dans les bras... C'est atroce.
JOCASTE
Je te panserai à la fontaine. ŒDIPE, abandonné. Mère...
JOCASTE
Crois-tu ! cette méchante écharpe et cette affreuse broche ! L'avais-je assez prédit.
CREON
C'est im-pos-si-ble. Je ne laisserai pas un fou sortir en liberté avec Antigone. J'ai le devoir...
TIRESIAS
Le devoir ! Ils ne t'appartiennent plus ; ils ne relèvent plus de ta puissance.
CREON
Et à qui appartiendraient-ils ?
TIRESIAS
Au peuple, aux poètes, aux cœurs purs
JOCASTE
En route ! Empoigne ma robe solidement... n'aie pas peur...
ANTIGONE
Viens, petit père... partons vite...
ŒDIPE
Où commencent les marches ? JOCASTE
et ANTIGONE
Il y a encore toute la plate-forme...
Ils disparaissent... On entend Jocaste et Antigone parler exactement ensemble.
JOCASTE et ANTIGONE
Attention... compte les marches... Un, deux,
trois, quatre, cinq...
CREON
Et
en admettant qu'ils sortent de la ville, qui s'en chargera, qui les
recueillera ?...
TIRESIAS
La gloire.
CREON
Dites plutôt le déshonneur, la honte... TIRESIAS
Qui sait ?
RIDEAU
Ils se mettent en route.
Saint-Mandrier,1932.
Jean Cocteau, La Machine infernale, lecture expliquée, par Georgette Wachtel
La Machine infernale, acte IV, depuis la didascalie : « Œdipe aveugle apparaît. Antigone s’accroche à sa robe. » jusqu’à la fin.
Objectifs : – Familiarisation avec le mythe antique; retour à Œdipe-Roi de Sophocle ; – Fonction du dernier acte de la tragédie ; modernité de la tonalité tragique ;
– Modernisation du mythe : interprétation originale, selon une thématique propre à Cocteau.
Présentation de la pièce et du passage à expliquer
ème
Jean Cocteau a été le premier dramaturge français à reprendre au XX antique en commençant par Antigone en 1922, au lendemain de la première guerre mondiale, fidèle en cela à la tradition qui, d’après Simone Fraysse dans son ouvrage, Le mythe d’Antigone, voit «surgir l’éloge [du personnage] chaque fois qu’un conflit grave met la nation en danger. »
Le passage à étudier est extrait de La Machine infernale, dont le héros est Œdipe depuis son ascension fulgurante jusqu’à son écrasement final, broyé par la machine implacable du destin. Le première représentation de la pièce, écrite en 1932, eut lieu à la Comédie des Champs-Élysées, dirigée par Louis Jouvet.
Nous étudierons d’abord la fonction du passage dans la structure de l’œuvre, puis sa
tonalité, enfin le sens que donne J. Cocteau à ce vieux mythe magnifiquement illustré par
ème Sophocle au V siècle avant J.-C.
I Fonction du passage : C’est la dernière scène, c’est-à-dire l’épilogue qui dénoue la crise et rétablit l’ordre.
1. Justification du titre de la tragédie : La Machine infernale Le spectateur a été mis devant un emballement irrésistible du destin, rendu sensible
par le traitement du temps. Les trois premiers actes se déroulent en vingt-quatre heures, respectant la règle classique
de l’unité de temps, tandis qu’au dernier acte le rideau se lève, découvrant un « Œdipe vieilli », à la barbe grise, « dix-sept ans après les faux bonheurs », selon la volonté des dieux, qui « ont voulu, pour le fonctionnement de leur machine infernale, que toutes les malchances surgissent sous le déguisement de la chance » (la Voix, celle de Jean Cocteau) ; cet acte s’intitule Œdipe-Roi, référence évidente à la pièce de Sophocle. On peut même considérer que le passage à étudier correspond au cinquième acte d’une tragédie classique et que la suppression de la pause contribue à accélérer le rythme de la marche inexorable du destin : après dix-sept ans de bonheur fallacieux, soudain peste, révélation de l’identité du roi, de son inceste, suicide de Jocaste, mutilation d’Œdipe sous les yeux d’Antigone. Tous ces événements, qui constituent la trame d’Œdipe-Roi de Sophocle, surviennent en quelques pages, dont la brièveté contraste avec la longueur des trois actes précédents : le premier acte
siècle le mythe
1
ASSOCIATION DES PROFESSEURS DE LETTRES
comporte quarante-trois pages, le deuxième, cinquante-deux, le troisième, quarante-quatre dans l’édition du Livre de poche (1962).
2. Le dénouement Après cette accélération du mouvement, le rythme se ralentit. Le déroulement de La
Machine infernale est arrivé à son terme. Une didascalie mentionne l’apparition d’Œdipe aveugle accompagné d’Antigone qui s’accroche à sa robe. C’est l’acte de la déchéance, de celui qui fut roi et qui, par une ironie tragique, lui donne son nom.
Créon devient régent et prend son rôle très au sérieux. Toutes ses répliques sont émaillées de termes jussifs et de futurs autoritaires : « Il est impossible qu’on laisse... » ; « Je vais donner des ordres... » ; « Je n’autoriserai pas cette petite... » ; « Je ne te laisserai pas [...] sortir en liberté. » ; « J’ai le devoir... ». L’interpellation d’Antigone : « Antigone ! Antigone ! Je t’appelle », comme la graphie, détachant les syllabes « C’est im-pos-sible » font entendre le ton impératif du personnage, imbu de son nouveau pouvoir, — ce que dénote également la récurrence de l’indice personnel « je ».
À l’opposé Tirésias, malmené tout au long de la pièce, retrouve la dignité due à sa fonction et use de son autorité acceptée et reconnue. Lorsque Créon veut passer en force pour retenir Œdipe, Tirésias s’interpose impérativement, lui intimant un ordre sans réplique : « Halte ! ». Il ose empoigner le régent — c’est le verbe employé par la didascalie — et même le faire taire en lui mettant la main sur la bouche sans égards pour sa dignité.
Il use de son autorité pour le convaincre de laisser partir Œdipe accompagné d’Antigone : « Ils ne t’appartiennent plus, ils ne relèvent plus de ta puissance », le présupposé étant qu’ils appartiennent à une autre puissance, celle du monde invisible que lui, aveugle, voit, — et, de mauvais gré, Créon s’exécute.
Cette dignité retrouvée est sensible dans ses nouveaux rapports avec Œdipe. Il lui offre son bâton d’augure, on peut dire fraternellement, (remarquons au passage le mélange des civilisations grecque et latine plus discret que la présence d’Anubis dans l’acte II) : ne sont-ils pas l’un et l’autre aveugles et voyants ? Ce n’est pas un simple présent d’amitié, avec la formule d’usage « bonne chance, qu’il lui porte chance ! » ; le futur dénote la certitude du devin qu’Œdipe est promis à un avenir autre que le malheur présent : « il lui portera chance. »
L’échange entre les deux hommes est amical, apaisé. « J’accepte » est répété deux fois et c’est le moment où, de lui-même, Œdipe reconnaît son aveuglement d’autrefois : « Souvenez- vous, autrefois, il y a dix-huit ans, j’ai vu dans vos yeux que je deviendrai aveugle et je n’ai pas su comprendre. J’y vois clair. » L’opposition passé/présent, l’exploitation de la polysémie du verbe « voir » expriment avec concision le renversement de la situation d’Œdipe et sa nouvelle relation avec Tirésias.
Un nouveau personnage est apparu dans cet acte, c’est la « petite Antigone », aux côtés de son père. Elle n’est pas la jeune fille héroïque, dévouée, fidèle jusqu’à la mort, des tragédies de Sophocle mais une fillette émouvante, courageuse, aimante : le spectacle d’horreur qu’elle a surpris de son père se mutilant ne l’a pas fait fuir, elle s’accroche à sa robe comme une enfant mais elle est déjà refus et fidélité. Elle désobéit à Créon qui veut l’empêcher de suivre son père, elle ne veut pas rester au palais auprès d’Ismène et de ses frères. Elle prend le chemin de l’exil, dirigée par la présence de Jocaste, invisible aux voyants, purifiée de l’inceste par la mort. « Ta femme est morte, pendue, Œdipe, je suis ta mère. » Elle est désormais la mère pour l’éternité. Maintenant tout est rentré dans l’ordre, la cause du désastre est élucidée, les coupables ne sont plus dans Thèbes, la peste va disparaître.
3.La menace Pourtant nous devinons les tragédies à venir par la présence d’Antigone et la mention
de sa phratrie. Les Labdacides doivent être éliminés de la terre et le caractère volontaire de la
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fillette laisse présager d’autres confrontations violentes. Elle est bien la fille d’Œdipe. En une seule réplique, elle répète trois fois « Je ne veux pas ». Ses prières insistantes se font à la forme impérative : « Ne me quitte pas ! Emmène-moi ! Ne me laisse pas seule ! » (trois fois). Elles finissent par avoir raison de la résistance de son père. Elle est déjà très « fière », dit Jocaste, d’une fierté qui l’oppose déjà si violemment à Créon qu’elle préfigure de futurs affrontements.
Donc, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des tragédies où la mort, la défaite des héros, instaurent un nouvel ordre, le mythe exigeant la destruction totale des Labdacides, la déchéance d’Œdipe ne rétablit qu’un ordre provisoire, lourd des tragédies à venir, même s’il s’achemine vers une réconciliation avec les dieux, comme le fait espérer Tirésias, et conformément à Œdipe à Colone.
II Mélange des tonalités dans la scène
Malgré sa brièveté la scène finale n’offre pas une unité de ton comme le veut la tradition et il y a lieu de se demander s’il s’agit d’un jeu gratuit de complicité avec le spectateur, une façon de détendre l’atmosphère par l’intrusion d’une petite scène comique ou si, au contraire, il y a un effet de sens.
1) La tonalité tragique Au renversement brutal de la situation, à la nouvelle relation qui s’établit entre
Tirésias et Œdipe correspond une tonalité tragique empreinte d’une « tristesse majestueuse », après une scène d’horreur, d’une horreur aggravée par rapport au texte de Sophocle.
En effet, dans Œdipe-Roi, Œdipe découvre peu à peu la vérité ou plutôt se rend progressivement à la vérité. Dès le deuxième épisode il craint d’être le meurtrier de Laïos, ce qui l’amène à convoquer le vieux berger, seul survivant du drame, malgré les propos rassurants de Jocaste :
(vers 852 à 856, Jocaste) « ... lui qui, selon l’oracle de Loxias, devait périr de la main de mon fils. Or, ce n’est pas ce malheureux qui pouvait alors le tuer, il est mort le premier... »
(vers 859-860, Œdipe) « Cependant envoie quelqu’un chercher le serviteur et n’y manque pas. »
Dans le troisième épisode, Œdipe, d’abord soulagé d’apprendre, par le messager venu de Corinthe, la mort de celui qu’il croit son père, replonge dans l’anxiété à la nouvelle que Polybe n’était pas son père et qu’il a été recueilli des mains d’un vieux berger qui est précisément le seul témoin du meurtre de Laïos. Tandis qu’Œdipe est décidé à mener jusqu’au bout son enquête, Jocaste, qui a tout compris, s’enfuit dans le palais.
Chez Sophocle il y a également accélération du rythme dans le quatrième épisode réduit à une seule scène, brève (v. 1142-1185), comparée aux épisodes précédents (respectivement 247, 349, et 114 vers) comprenant deux scènes pour le premier épisode, quatre scènes pour le second et trois pour le troisième. Le quatrième épisode est celui où le berger révèle la terrible vérité. C’est dans l’exodos que nous apprenons par un messager ce qui s’est passé dans le palais : le suicide de Jocaste et la mutilation d’Œdipe, dans un très long récit entrecoupé de brèves interventions du chœur (v. 1223 à 1296).
S’il y a accélération du rythme dans la pièce antique, elle concerne le dévoilement de la vérité, tandis que toute l’action se trouve condensée dans le quatrième acte de La Machine infernale, y compris l’apparition d’Œdipe, la face sanglante, et celles de Créon et d’Antigone. Et pourtant La Machine infernale ne nous laisse pas sur un impression de terreur, bien que Cocteau n’épargne pas la sensibilité du spectateur. Dans la scène précédant l’arrivée d’Œdipe et d’Antigone, c’est Antigone qui apparaît, « les cheveux épars » (cf. crinibus passis en latin, signe antique de l’émotion suscitée par le deuil) et tient lieu de messagère de malheur. La
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fillette est sous le coup d’un double traumatisme qu’exprime une seule réplique de sept lignes, avec quatre exclamations proches du cri d’horreur : « C’est épouvantable ! », « J’ai peur ! », « J’ai trop peur », et qui contraste avec le long récit du messager chez Sophocle. Elle décrit le spectacle affreux qui s’est déroulé sous ses yeux et se poursuit au moment même où elle appelle au secours, comme le signale l’indicatif présent : « Petit père se roule sur elle et il se donne des coups dans les yeux avec sa grosse broche en or. Il y a du sang partout. » C’est un spectacle d’horreur, au sens le plus moderne du terme, dont la description suscite terreur mais aussi pitié parce qu’il a été surpris par une petite fille, la propre fille du couple, donc plus émouvante qu’un messager, sans tomber cependant dans le genre « grand guignol », parce que la scène ne se déroule pas directement sur les planches.
Mais, d’un seul coup, la tonalité change dès qu’apparaissent Œdipe aveugle et Antigone, grâce aux nouveaux rapports qui se sont instaurés entre Tirésias et Œdipe et dont témoigne la remise solennelle du bâton d’augure par l’intermédiaire d’Antigone à qui, en quelque sorte, le devin a délégué le rôle d’officiant : (Tirésias) « Antigone ! Mon bâton d’augure, offre-le lui de ma part... Il lui portera chance. » (La didascalie ajoute : « Antigone embrasse la main de Tirésias et porte le bâton à Œdipe »).
Au climat de terreur a succédé une tristesse majestueuse, malgré la situation pathétique d’Œdipe, accentuée par Cocteau. En effet, Créon est d’un autoritarisme tyrannique qui ne correspond pas à l’image que donne de lui Sophocle. De plus, le sentiment d’horreur qu’éprouve Œdipe à l’égard de lui-même est aggravé dans La Machine infernale. Dans la pièce antique, la conscience de la souillure n’empêche pas le héros de supplier Créon de lui laisser ses filles, ce sont ses derniers mots : « Elles, non, ne me les enlève pas. » (v.1522) et, après avoir appelé ses filles : « mes enfants où donc êtes-vous ? Approchez, venez vers ces mains fraternelles, mes mains... » (v. 1480-81). Dans La Machine infernale, Œdipe commence par repousser sa fille pous la protéger de son contact impur: «Qu’on abatte la bête immonde ! » Antigone : « Père ! » Œdipe : « Laisse-moi [...] ne touche pas mes mains, ne m’approche pas » Il faut la médiation de Tirésias pour que se rétablisse le contact avec la fillette. De même il faut l’intercession de Jocaste pour qu’il accepte qu’Antigone le suive.
Malgré cela, rien d’équivalent à la déploration lyrique d’Œdipe-Roi (v. 1297-1418), échanges entre Œdipe et le chœur (dont une partie est chantée, v. 1307-1365) suivis d’un long monologue (v. 1369-1415). Dans La Machine infernale le héros s’abandonne à la douleur en présence de sa mère avec retenue et naturel : : « Je souffre », « J’ai mal ». Pour évoquer les épreuves à venir il emploie un euphémisme : « La journée sera rude » Alors l’émotion gagne le spectateur à la vue de cet homme courageux qui exprime sa souffrance seulement en présence de sa mère par un gémissement « Oh! » accompagné d’un geste simple. (didascalie : « Il porte la main à sa tête ») et ce geste n’échappe pas à la vigilance maternelle : « Tu as mal ? », d’où la réplique : « Oui, dans la tête, et dans la nuque et dans les bras... C’est atroce. » Avec une mère on peut se laisse aller (répétition du coordonnant et de la préposition dans un groupe ternaire). L’adjectif, très fort, marque un crescendo dans l’expression de la douleur.
2) La tonalité comique La tonalité tragique de la dernière scène est rompue par la confrontation comique
d’Antigone avec Créon ainsi que par les répliques obtuses de ce dernier. En effet, le nouveau roi est un personnage grotesque de comédie par son « côté petit-bourgeois », obsédé par la peur du scandale.: « Ce serait un scandale épouvantable » (qu’Œdipe traversât la ville en proie à la peste). L’emploi de l’adjectif hyperbolique, appartenant au registre tragique, dénote la petitesse de l’homme qui n’a pas sa place dans l’univers grandiose, « épouvantable » de la tragédie ; ce que souligne la réponse perplexe de Tirésias : « Une ville de peste ? » Il est sot, il ne comprend rien au langage métaphorique du devin, qu’il prend au pied de la lettre : « Vous
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prétendez qu’il deviendra invisible parce qu’il est aveugle. » Son registre de langue, familier, qui détonne dans le registre tragique, révèle son mépris pour tout ce qui le dépasse : « J’en ai assez de vos devinettes. » On assiste à une véritable scène de comédie bourgeoise, sur fond de tragédie, dans sa confrontation avec Antigone interrompant la conversation d’Œdipe avec sa mère : « Je ne veux pas rester chez mon oncle ! » La réponse de Créon fait penser à un sous- titrage de film muet : « Nature ingrate ».
Comique au premier degré, lourde d’une ironie tragique parce qu’elle relève d’un jugement aveugle sur la personnalité de la fillette qui est, et sera, toute fidélité. L’obstination de petite fille apparemment capricieuse, malgré son expression enfantine, sous une apparence comique, annonce la force tragique de refus et d’amour qu’elle incarne dans Antigone.
3) La tonalité fantastique Cette sombre tragédie laisse pourtant le spectateur sur une impression d’apaisement
grâce à la poésie du surnaturel propre à Cocteau, malgré les menaces qui continuent à peser sur les descendants de Laïos.
L’apparition fantastique de Jocaste morte diffuse une douceur maternelle, consolatrice, d’une grande beauté. La didascalie, qui signale la présence de « Jocaste morte » n’a pas la même connotation que le premier acte intitulé « Le fantôme ». De la mort, elle a la blancheur mais elle ne peut effrayer car elle est « belle ». Plus qu’une morte, avec ses yeux clos, elle est un personnage onirique, un rêve qui devient réalité. Son écharpe semble être redevenue un attribut d’élégance et non plus le signe et l’instrument du destin : « la longue écharpe enroulée autour du cou », elle s’adresse à Œdipe comme à un petit enfant dans la peine : « Mon enfant, mon petit enfant » ; « Mon pauvre petit », en mère protectrice — tout le passé d’amante étant anéanti — dont la présence rassurante est indispensable à l’aveugle : « C’est ta mère qui vient à ton aide. » ; « Je me charge de tout » (expression maternelle du désir d’aller au-devant des besoins de l’enfant). À peine fait-elle une allusion à son suicide et à la mutilation de son fils sur un ton dédramatisant : « Crois-tu ! Cette méchante écharpe et cette affreuse broche ! L’avais-je assez prédit ! », sans ôter leur pouvoir occulte aux objets, jouant sur un double niveau, celui de la psychologie enfantine et celui d’une croyance magique, mystérieuse des choses. Elle guide Œdipe, lui signale les dangers, l’escalier, elle l’aide avec Antigone à compter les marches, elle le fait patienter en lui promettant de le panser à la fontaine, cette fameuse fontaine de la place dont ils entendaient le jet d’eau la nuit de leurs noces (l’eau, symbole de fécondité mais aussi eau lustrale de purification). C’est elle encore qui convainc Œdipe d’accepter qu’Antigone le suive dans son exil. Comme pour un enfant qui fait ses premiers pas, elle l’encourage à marcher : « N’aie pas peur » ; de même qu’au début de l’acte Antigone s’accrochait à la robe de son père, Œdipe « empoigne solidement » la robe de sa mère, sur l’injonction de cette dernière. Toute la séquence baigne dans l’atmosphère surnaturelle, onirique, de l’enfance retrouvée sous l’aile protectrice de la mère, devenue par la mort invisible aux voyants et présente à tout jamais pour son fils.
La poésie qui se dégage de ce passage fantastique, la douceur apaisante de la tendresse maternelle assurent la transition de la déchéance du héros à sa transfiguration en mythe. En effet, les derniers mots de la pièce sont à Tirésias, qui tire la leçon de l’histoire d’Œdipe : il est promis à « la gloire », prédiction de nature à surprendre par sa référence aux héros d’épopée, célèbres, par leurs exploits, dans la mémoire collective et à surprendre en particulier les Créon qui ne croient que ce qu’ils voient.
III Quelle est donc cette « gloire » à laquelle est promis Œdipe ? Quelle est l’interprétation que donne Cocteau du mythe ?
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Les tout derniers mots de la pièce : « Qui sait ?È, prononcés par Tirésias laissent le champ libre à d’autres interprétations possibles, hommage à la richesse du mythe. C’est la réponse à Créon qui ne voit dans l’aventure d’Œdipe que « déshonneur, honte », nullement convaincu par la prédiction du devin car la gloire d’Œdipe est étrangère, incompréhensible au monde des préjugés qui régissent la société. Le paria n’appartient plus au monde des hommes, il n’est plus jugé selon les lois de la cité. C’est déjà le sens des paroles consolatrices de Jocaste, sur un ton désabusé : « Les choses qui paraissent abominables aux humains, si tu savais, de l’endroit où j’habite, si tu savais comme elles ont peu d’importance. » Tirésias, qui a le don de voyance, pour empêcher Créon de retenir Antigone, lui déclare qu’Œdipe et sa fille « ne relèvent plus de [sa] puissance » mais appartiennent « au peuple, aux poètes, aux cœurs purs »
1) « Au peuple, aux poètes » Le peuple se transmet de génération en génération le mythe venu du fond des âges ;
c’est en ce sens que le mythe est populaire, qu’Antigone et Œdipe appartiennent au peuple et ce sont les poètes, Sophocle en particulier, qui, dans leurs Œuvres, donnent un sens à l’aventure de ces héros et les font vivre éternellement dans les « cœurs purs. » Au premier abord, il est surprenant d’entendre que des personnages dont l’un se qualifie lui-même de « bête immonde » et l’autre est dit « né d’amours monstrueuses » appartiennent précisément à des « cœurs purs », avec le sens qu’ils ont les « droits sans partage » que donne l’amour.
2) Qui sont les « cœurs purs » ? Il faut considérer les « cœurs purs » comme étant diamétralement opposés au
personnage de Créon, ivre de pouvoir, enfoncé dans un positivisme aveugle, sûr de lui : « J’ai ma tête sur mes épaules, moi, et les pieds par terre. » Le rythme de la phrase, la brutalité de l’expression populaire dans ce contexte trahissent la vanité épaisse du personnage. Les « cœurs purs » ne sont ni engoncés dans la rigidité des lois ni paralysés par la peur du scandale qui endurcit et rend imperméable à la grandeur du malheur. C’est grâce aux poètes, ces médiums qui révèlent les vérités invisibles, que les « cœurs purs » peuvent vibrer aux malheurs d’Œdipe et d’Antigone et leur donner un sens. Ainsi le jeu constant sur le verbe « voir » et la fréquence du champ lexical de la vue ne sont pas gratuits : ils sont signifiants.
3) Le sens de la mutilation
Œdipe, dans la pièce de Cocteau, ne se crève pas les yeux pour la même raison que dans la pièce de Sophocle. Dans cette dernière, il déclare qu’il ne veut pas rencontrer le regard de ses parents dans les Enfers ni celui de ses enfants, non plus qu’il ne veut revoir sa ville et les images des dieux (v.1371-1379), tandis que Tirésias, dans La Machine infernale, donne une autre explication à Créon pour qui Œdipe est un « fou » qu’il faut soustraire à la vue des Thébains : « il a voulu être le plus heureux des hommes ; maintenant il veut être le plus malheureux. » Œdipe est bien un être d’exception par sa volonté de vivre hors du commun, sa volonté d’atteindre le paroxysme dans les deux pôles de la condition humaine, ce que soulignent la symétrie des deux superlatifs et l’opposition passé/présent. Aux malheurs traditionnels, dans La Machine infernale, il ajoute celui de la solitude dans la cité dont il fut le roi honoré et aimé : hors Tirésias, Antigone et Jocaste, nul ne compatit à ses douleurs ; il n’y a pas, comme dans Œdipe-Roi les manifestations de sympathie du chŒur.
Le sens des deux pièces est différent : Sophocle offre au regard des spectateurs la toute- puissance divine, indifférente aux malheurs des hommes et punissant l’hybris ; il met dans la bouche du choryphée, dans l’exodos, une phrase qui résume sa conception sur la condition humaine en une sentence exprimant un lieu commun de la philosophie grecque : « Ô habitants de Thèbes, ma patrie, portez vos regards sur Œdipe que voici. [...] C’est donc ce dernier jour
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qu’il faut, pour un mortel, toujours avoir en vue, pour ne considérer aucun mortel comme heureux avant qu’il n’ait franchi le terme de sa vie sans avoir subi de souffrance ».
Le héros de Cocteau, lui, s’est crevé les yeux dans un acte volontaire, devenant ainsi voyant, ce qui lui permet d’avoir commerce avec le monde invisible, de se hisser au niveau de Tirésias grâce à une souffrance purificatrice, de voir Jocaste morte, elle-même purifiée de l’inceste, et de revivre une relation enfant/mère à ses côtés. C’est aussi qu’il appartient aux « cœurs purs ».
Conclusion
Cocteau modernise le mythe d’Œdipe en faisant de ce dernier le symbole du paria rejeté de la communauté des hommes, qui accepte ce sort comme une fatalité et même travaille avec masochisme à aggraver son martyre. Il lui donne un accent personnel et poétique par l’irruption du fantastique : l’apparition de Jocaste morte, la conversation tendre entre mère et fils, indifférents aux propos qui s’échangent autour d’eux, dans l’intimité fœtale retrouvée, qu’Antigone ne vient pas troubler, n’ayant pas été conçue par une femme d’un autre sang ; tout cela confère un lyrisme étrange à la scène finale donnant réalité au phantasme de la coexistence de deux mondes, celui du rêve et celui de la réalité, le premier étant plus réel que le second, mais accessible, au prix d’une douloureuse ascèse, aux seuls poètes que méprisent et maltraitent les hommes bernés par le monde des apparences et ridicules dans leurs certitudes matérialistes.
Œdipe, comme Orphée, est pour Cocteau une image du poète, un miroir de lui-même. Georgette Wachtel