Objet d’Etude nº 3

Les Réécritures : Le mythe d’Orphée.

« Chanter c’est Être »

Rilke

 

Problématique : Quel sens les artistes donnent-il au mythe d'Orphée au fur et à mesure des réécritures et des transpositions?

Objectifs : Se familiariser avec les questions de genre, de registre et d'intertextualité, les phénomènes de citation, d'imitation, de variation et de transposition.

Textes retenus pour l’analyse analytique 

Texte 1 : Paul Valéry, « Orphée », Album de vers anciens

Texte 2 :  Apollinaire, le Bestiaire d’Orphée

Texte 3 :   Rilke, sonnets à Orphée, 1,2,3, au choix

 

Références sur la toile :

 

http://www.mediterranees.net/mythes/orphee/legende.html

http://mythologica.fr/grec/orphee.htm

 

Commentaires d’œuvres d’art :

 

1.     Ovide «  les Métamorphoses »  10, 1-63     

 

2.     Monteverdi : Orfeo ( 1607) : air de « possente spirtu »  http://www.youtube.com/watch?v=agHHh2c_B0I&feature=related ; http://www.youtube.com/watch?v=_emlRy--KAE&feature=related

3.     Nicolas Poussin : paysage avec Orphée et Eurydice, 16, commentaire d’Yves Bonnefoy

4.    Christoph William Gluck , Orphée et  Eurydice: air de supplication aux enfers http://www.youtube.com/watch?v=OGJMkFcf3t8

5.     Pina Bausch

Or     Orpheus und Euridike ( sur la musique de Gluck, traduite en allemand, livret tronqué : http://www.dailymotion.com/video/x4fjmt_orphee-et-eurydice-pina-bausch_music

 

6.     Cocteau , Orphée, film de 1950, avec http://www.youtube.com/watch?v=91cniSsNwz8 , http://www.youtube.com/watch?v=CSLXCksPmjo

http://www.youtube.com/watch?v=CSLXCksPmjo ; http://www.youtube.com/watch?v=0tl7W0RRP0E&feature=related; fin du film : http://www.youtube.com/watch?v=91cniSsNwz8 Orphée de Cocteau et Joy Division

 

7.     Orfeu Negru, film de Marcel Camus

http://www.youtube.com/watch?v=8CxcnB16Tyk 

 

 

 

Les quatre textes en lecture analytique : Virgile, Apollinaire, Valéry, Rilke.

Apollinaire - Le bestiaire ou Cortège d'Orphée (1911)

 

A Elémir Bourges

Orphée

Admirez le pouvoir insigne
Et la noblesse de la ligne :
Elle est la voix que la lumière fit entendre
Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pimandre.

La tortue

Du Thrace magique, ô délire !
Mes doigts sûrs font sonner la lyre.
Les animaux passent aux sons
De ma tortue, de mes chansons.

Le cheval

Mes durs rêves formels sauront te chevaucher,
Mon destin au char d'or sera ton beau cocher
Qui pour rênes tiendra tendus à frénésie,
Mes vers, les parangons de toute poésie.

La chèvre du Thibet

Les poils de cette chèvre et même
Ceux d'or pour qui prit tant de peine
Jason, ne valent rien au prix
Des cheveux dont je suis épris.

Le serpent

Tu t'acharnes sur la beauté.
Et quelles femmes ont été
Victimes de ta cruauté !
Eve, Eurydice, Cléopâtre ;
J'en connais encor trois ou quatre.

(...)

La souris

Belles journées, souris du temps,
Vous rongez peu à peu ma vie.
Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans,
Et mal vécus, à mon envie.

L'éléphant

Comme un éléphant son ivoire,
J'ai en bouche un bien précieux.
Pourpre mort !.. J'achète ma gloire
Au prix des mots mélodieux.

Orphée

Regardez cette troupe infecte
Aux mille pattes, au cent yeux :
Rotifères, cirons, insectes
Et microbes plus merveilleux
Que les sept merveilles du monde
Et le palais de Rosemonde !

La chenille

Le travail mène à la richesse.
Pauvres poètes, travaillons !
La chenille en peinant sans cesse
Devient le riche papillon.

(...)

La puce

Puces, amis, amantes même,
Qu'ils sont cruels ceux qui nous aiment !
Tout notre sang coule pour eux.
Les bien-aimés sont malheureux.

La sauterelle

Voici la fine sauterelle,
La nourriture de saint Jean.
Puissent mes vers être comme elle,
Le régal des meilleures gens.

(...)

Le dauphin

Dauphins, vous jouez dans la mer,
Mais le flot est toujours amer.
Parfois, ma joie éclate-t-elle ?
La vie est encore cruelle.

Le poulpe

Jetant son encre vers les cieux,
Suçant le sang de ce qu'il aime
Et le trouvant délicieux,
Ce monstre inhumain, c'est moi-même.

La méduse

Méduses, malheureuses têtes
Aux chevelures violettes
Vous vous plaisez dans les tempêtes,
Et je m'y plais comme vous faites.

L'écrevisse

Incertitude, ô mes délices
Vous et moi nous nous en allons
Comme s'en vont les écrevisses,
A reculons, à reculons.

La carpe

Dans vos viviers, dans vos étangs,
Carpes, que vous vivez longtemps !
Est-ce que la mort vous oublie,
Poissons de la mélancolie.

Orphée

La femelle de l'alcyon,
L'Amour, les volantes Sirènes,
Savent de mortelles chansons
Dangereuses et inhumaines.
N'oyez pas ces oiseaux maudits,
Mais les Anges du paradis.

Les sirènes

Saché-je d'où provient, Sirènes, votre ennui
Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ?
Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées
Et mes vaisseaux chantants se nomment les années.

(...)

Le paon

En faisant la roue, cet oiseau,
Dont le pennage traîne à terre,
Apparaît encore plus beau,
Mais se découvre le derrière.

Le hibou

Mon pauvre coeur est un hibou
Qu'on cloue, qu'on décloue, qu'on recloue.
De sang, d'ardeur, il est à bout.
Tous ceux qui m'aiment, je les loue.

(...)

Le boeuf

Ce chérubin dit la louange
Du paradis, où, près des anges,
Nous revivrons, mes chers amis,
Quand le bon Dieu l'aura permis.

 




Paul Valéry :

Album de vers anciens

Orphée 

 

 

... Je compose en esprit, sous les myrtes, Orphée
L’Admirable !... le feu, des cirques purs descend ;
Il change le mont chauve en auguste trophée
D’où s’exhale d’un dieu l’acte retentissant.

Si le dieu chante, il rompt le site tout-puissant ;
Le soleil voit l’horreur du mouvement des pierres ;
Une plainte inouïe appelle éblouissants
Les hauts murs d’or harmonieux d’un sanctuaire.

Il chante, assis au bord du ciel splendide, Orphée !
Le roc marche, et trébuche ; et chaque pierre fée
Se sent un poids nouveau qui vers l’azur délire !

D’un Temple à demi nu le soir baigne l’essor,
Et soi-même il s’assemble et s’ordonne dans l’or
À l’âme immense du grand hymne sur la lyre !

 

Texte 5 : RAINER MARIA RILKE

Sonnets à Orphée

(1922)

                      Or, un arbre monta…

 

 

 

                       Or, un arbre monta, pur élan, de lui-même.

 

                       Orphée chante ! Quel arbre dans l’oreille !

 

                       Et tout se tut. Mais ce silence était

 

                       lui-même un renouveau : signes, métamorphose…

 

 

 

                       Faits de silence, des animaux surgirent

 

                       des gîtes et des nids de la claire forêt.

 

                       Il apparut que ni la ruse ni la peur

 

                       ne les rendaient silencieux ; c’était

 

 

 

                       à force d’écouter. Bramer, hurler, rugir,

 

                       pour leur cœur c’eût été trop peu. Où tout à l’heure

 

                       une hutte offrait à peine un pauvre abri,

 

 

 

                       — refuge fait du plus obscur désir,

 

                       avec un seuil où tremblaient les portants, —

 

                       tu leur dressas des temples dans l’ouïe.                    

 

 

 

 

Un dieu le peut…

 

Un dieu le peut. Mais comment, dis,

l’homme le suivrait-il sur son étroite lyre ?

Son esprit se bifurque. Au carrefour de deux

Chemins du cœur il n’est nul temple d’Apollon.

 

Le chant que tu enseignes n’est point désir :

ni un espoir, enfin comblé, de prétendant.

Chanter c’est être. C’est au dieu facile.

Mais quand sommes-nous ? Et quand

 

met-il en nous la terre et les étoiles ?

Non, ce n’est rien d’aimer, jeune homme, même si

ta voix force ta bouche, — mais apprends

 

à oublier le sursaut de ton cri. Il passe.

Chanter vraiment, ah ! c’est un autre souffle.

Un souffle autour de rien. Un vol en Dieu. Un vent.

 

 Est-il d’ici ?

 

Est-il d’ici ? Non, des deux

empires naquit sa vaste nature.

Plus adroitement ploierait le saule

quiconque eût d’abord connu ses racines.

 

En vous couchant, ne laissez sur la table

ni pain ni lait ; cela tire les morts.

Mais lui, l’enchanteur, lui, qu’il mêle

sous la douceur de sa paupière

 

leur apparence à tout ce qu’il a vu !

Que la magie du talisman, de la fumeterre

lui soit plus vraie que le clair rapport !

 

L’image valable, rien ne peut la lui détruire,

qu’elle soit en chambres, qu’elle soit en tombeaux,

qu’il chante la bague, la boucle, ou bien le broc.

 

 

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fé

Virgile - Géorgiques, IV, v.450-529

 

Traduction d'Henri Laignoux (1939)

Aristée, à ces mots, s'arrêta de parler.

Alors, grinçant des dents, l'irascible devin,
Roulant des yeux où brille une glauque lumière,
Aux regards du berger dévoila les destins.
«D'une divinité c'est la juste colère,
Dit-il, qui te ravit ce qui fit ton orgueil,
Décima tes essaims, mit tes ruches en deuil.
Tu gémis ? Souviens-toi d'Eurydice éperdue,
Par ta faute, Aristée, aux Enfers descendue,
Et pour le triste Orphée à tout jamais perdue.
Près du fleuve désert, le coeur rempli d'effroi,
Elle fuyait un jour, rapide, devant toi.
Hélas ! elle n'a pas dans les épais roseaux
Vu ramper un serpent aux monstrueux anneaux.
Eurydice n'est plus ! Ses farouches compagnes,
Les Dryades des bois et des hautes montagnes,
Ont rempli de leurs cris les plaines et les monts
Des sommets du Rhodope aux rives du Strymon ;
Et dans la Thrace entière, au bruit de son trépas,
Les échos ont redit : Hélas ! Hélas ! Hélas !
Le malheureux Orphée, en sa douleur cruelle,
Cherche les lieux déserts, et sur son luth fidèle,
Eurydice, c'est toi, toi seule, ses amours,
Qu'il veut chanter, de l'aube à la chute du jour.
Il va, toujours errant, toujours inconsolable ;
Il franchit des Enfers la porte redoutable,
Et jusque dans l'Hadès, en leur sombre séjour,
Ne craint pas d'affronter ces dieux inexorables
Dont le coeur endurci ne saurait s'attendrir
Aux plaintes des humains condamnés à souffrir.
Cependant aux accords de la lyre plaintive,
De l'Erèbe muet quittant les profondeurs,
Les ombres accouraient au-devant du Chanteur,
Comme un grand vol d'oiseaux, groupés sur une rive,
Prend soudain son essor vers un climat meilleur.
Leur foule se pressait le long du noir abîme,
Les mères, les époux, les héros magnanimes,
Et la vierge innocente, et les fiers jeunes gens
Placés sur le bûcher aux yeux de leurs parents.
Autour d'eux le Cocyte étale sa barrière
Faite d'une eau fétide et de joncs gémissants,
Et le Styx, par neuf fois, autour d'eux se glissant
Leur interdit neuf fois de revoir la lumière.
Même au fond du Tartare, au séjour des supplices,
Le luth a suspendu le cours de la justice :
Cerbère au triple mufle a cessé d'aboyer ;
Le dieu des vents, Éole, oubliant de souffler,
Sur sa roue Ixion s'arrête de tourner ;
Et sur leurs fronts hideux les pâles Euménides
N'entendent plus siffler les serpents homicides.
Enfin, grâce à son luth, vainqueur du noir trépas,
L'aède harmonieux revenait sur ses pas.
Eurydice suivait ; mais une loi sévère
Défendait à l'amant tout regard en arrière.
Nul danger désormais : déjà, sur la hauteur,
Blanchissait faiblement une pâle lueur...
Et voici que soudain, — démence pardonnable !
Mais les Mânes jaloux n'ont jamais pardonné, —
Le triste Orphée oublie, et l'époux misérable,
Impatient de voir un visage adoré,
S'arrête, et, malgré lui, se retourne...
0 terreur ! 0 du sombre Pluton implacable rigueur !
Trois fois la foudre éclate, et le pacte est rompu
Qui liait le tyran à l'amant éperdu.
Faible, une voix gémit : «Orphée, ô cher époux,
Quel dieu cruel, hélas ! s'acharne contre nous ?
Le sommeil de la mort oppresse ma paupière ;
Il me faut à jamais, pour la seconde fois,
Dans l'éternelle nuit retourner en arrière :
O cher Orphée, adieu ; je ne suis plus à toi !»
Elle dit et s'efface, ainsi que dans les airs
Se mêle une fumée à l'impalpable éther.
Orphée étend les bras et ne saisit qu'une ombre ;
Il voudrait lui parler, mais l'ombre a disparu,
Cependant que Charon, le nocher à l'oeil sombre,
Le repousse d'un bord qu'il ne franchira plus.
Que faire désormais ? Où porter sa misère ?
Quelles divinités, quelles âmes de pierre
Pourrait-il émouvoir ? Inutiles efforts !
Déjà son Eurydice, au royaume des morts,
Sur la barque du Styx voguait, pâle et glacée !

Pendant sept mois entiers sa plainte non lassée
S'exhala nuit et jour près du Strymon désert.
Seul parmi les rochers, malgré le rude hiver,
Sur sa lyre fidèle il soupirait sa peine.
Les tigres écoutaient, et dans les bois les chênes
S'inclinaient doucement au son de ses accords.
Ainsi, lorsque, la nuit, la Nature s'endort,
Tu gémis dans les bois, plaintive Philomèle,
Appelant tes petits que d'une main cruelle
Le rude laboureur arracha de leur nid :
L'air retentit au loin de ta plainte éternelle
Qui toujours recommence et jamais ne finit !
Ainsi gémit l'aède, et dans les tristes plaines
Où la Thrace en hiver blanchit sous les frimas,
Solitaire et farouche il a porté ses pas,
Désormais insensible aux tendresses humaines,
Rebelle à tout amour, et se plaignant sans fin
Des Enfers et d'un don qui devait être vain.
Mais les femmes de Thrace ont senti ses mépris.
De son coeur trop fidèle Orphée aura le prix.
Ivres de la fureur des nocturnes orgies,
Bacchantes en délire aux mains de sang rougies,
Elles ont déchiré les membres pantelants
Du Héros, et les ont dispersés dans les champs !

Et l'Hèbre alors, dit-on, sur ses eaux apaisées
Roula la tête pâle aux paupières baissées ;
Et comme reprochant aux dieux leur injustice,
«Eurydice !» criait la voix déjà glacée.
L'âme à son tour, fuyante, appelait : «Eurydice !»
Et tout le long du fleuve, où la tête est passée
L'Écho faible a redit : «Eurydice ! Eurydice !»

Ainsi parla Protée, et, soudain, d'un seul bond,
Le devin disparut au sein du flot profond.
Où son corps a plongé, l'écume a rejailli
Qui s'efface bientôt et se ferme sur lui.

Les Géorgiques sont une œuvre de Virgile en quatre chants, écrite entre 36 et 29 avant J.-C.

L'auteur y atteint une certaine forme de perfection artistique, ce qui lui vaut d'être considéré comme le plus grand poète de l'époque. L'ouvrage se présente comme un traité sur l'agriculture, mais les thèmes abordés sont beaucoup plus vastes : guerre, paix, mort, résurrection. Il constitue surtout une célébration de la vie paysanne traditionnelle.

Virgile a 33 ans lorsqu'il entame son œuvre. Il ne finira que 7 ans plus tard. Il entreprend ce poème à la demande de Mécène, son protecteur, dans le but de remettre en honneur parmi les Romains l'agriculture abandonnée pendant les guerres civiles, et de les ramener à la simplicité des mœurs de leurs ancêtres.

Les Géorgiques sont composées au total de 2500 vers. Le terme géorgique vient du grec et signifie travailleur de la terre (ce mot est également à l'origine du prénom Georges). L'œuvre est divisée en quatre livres, qui traitent dans l'ordre : des cultures et des champs, de l'arboriculture et de la vigne, de l'élevage des troupeaux, et de l'apiculture. On peut s'apercevoir que Virgile passe sous silence des grands thèmes tels que les jardins et l'art botanique ; il s'agit là d'un oubli volontaire, l'auteur voulant privilégier l'utile à l'agréable.

Par ce poème didactique, rédigé en hexamètres dactyliques, Virgile s'est imposé comme un grand poète latin. Toutes les critiques le plébiscitent. On lui a reproché le manque d'ordre : mais, si la méthode n'est pas complètement rigoureuse, elle est suffisamment nette et claire, et on ne peut pas exiger d'un poème la même rigueur que d'un traité régulier en prose.

 

 

Dans la mythologie grecque, Érèbe (en grec ancien Ἔρεϐος / Erebos, en latin Erebus) est une divinité infernale née du Chaos, personnifiant les Ténèbres, l'Obscurité des Enfers. Il est le frère et l'époux de Nyx (la Nuit), dont il a engendré Éther (le Ciel supérieur) et Héméra (le Jour). Il est décrit dans la Théogonie d'Hésiode.

Il est métamorphosé en fleuve pour avoir secouru les Titans, et donne ainsi son nom à une région des Enfers où passent les âmes des défunts, située entre le monde des vivants et l'Hadès.

 

Dans la mythologie grecque, Aristée (en grec ancien Ἀρισταῖος / Aristaîos), est un héros, fils d'Apollon et de la nymphe Cyrène, associé au pastoralisme et à l'agriculture. Son culte était notamment répandu en Béotie, à Céos, en Sicile, en Sardaigne, en Thessalie et en Macédoine.

Il fut élevé par les nymphes qui lui apprirent à cailler le lait, à cultiver les oliviers, et à élever des abeilles. Amoureux de la Dryade Eurydice, il fut cause de sa mort, en la poursuivant le jour de ses noces avec Orphée : comme elle fuyait devant lui, la malheureuse n'aperçut pas sous ses pieds un serpent caché dans les hautes herbes. La morsure du serpent lui ôta la vie. Pour la venger, les nymphes, ses compagnes, firent périr toutes les abeilles d'Aristée. Sa mère Cyrène, dont il implora le secours afin de réparer cette perte, le mena consulter Protée, dont il apprit la cause de son infortune, et reçut ordre d'apaiser les mânes d'Eurydice par des sacrifices expiatoires. Docile à ses conseils, Aristée, ayant immédiatement immolé quatre jeunes taureaux et autant de génisses, en vit sortir une nuée d'abeilles qui lui permirent de reconstituer ses ruches.

Il épousa Autonoé, fille de Cadmos, dont il eut Actéon. Après la mort de ce fils déchiré par ses chiens, il se retira à Céos, île de la mer Égée, alors désolée par une peste qu'il fit cesser en offrant aux dieux des sacrifices ;

 

 

 

 

Textes et documents complémentaires : Gluck, Bonnefoy, Poussin, Monteverdi, Marcel camus, Jean Cocteau ( cliquer aussi sur la partie "documents" )

CARONTE

O tu ch’innanzi morte a queste rive

Temerario ten vieni, arresta i passi;

Solcar quest’onde ad uom mortal non dassi,

Né può co’morti albergo aver chi vive.

Che ? vuoi forse, nemico al mio Signore,

Cerbero trar da le tartaree porte ?

O rapir brami sua cara consorte,

D’impudico desire acceso il core ?

Pon freno al folle ardir, ch’entr’al mio legno

Non accorò più mai corporea salma

Si degli antichi oltraggi ancor ne l’alma

Serbo acerba memoria e giusto sdegno.

 

CARONTE

O toi qui avant l’heure

T’en viens sur ces rivages avec témérité,

Arrête là tes pas ! Un mortel, sur ces eaux, ne doit pas naviguer,

Vivant, avec les morts ne peut pas séjourner.

Quoi ? Tu voudrais peut-être, ennemi de mon maître,

Que s’éloigne Cerbère des portes du Tartare ?

Ou le cœur enflammé d’un désir indécent

Tu voudrais lui ravir sa belle et chère épouse ?

Modère ton audace folle, car dans ma barque

Plus jamais je n’accueillerai un être humain ;

Car j’ai encore au cœur une juste colère

Et l’amer souvenir des offenses d ‘antan .

Symphonie

 

Sinfonia

ORFEO

Possente spirto, e formidabil nume,

Senza cui far passaggio a l’altra riva

Alma da corpo sciolta invan presume,

Non vivo io, no,che poi di vita è priva

Mia cara sposa, il cor non è più meco,

E senza cor com’esser può ch’io viva ?

A lei volt’ho il cammin per l’aer cieco

A l’inferno non già, ch’ovunque stassi

Tanta bellezza il paradiso ha seco.

Orfeo son io, che d’Euridice i p a s s i

Segue per queste tenebrose arene,

Ove già mai per uom mortal non vassi.

O de le luci mie luci serene,

S’un vostro sguardo può tornarmi in vita,

Ahi, chi niega il conforto a le mie pene?

Sol tu, nobile Dio, puoi darmi aita,

Né temer dei, ché sopra un’aurea cetra

Sol di corde soavi armo le dita

Contra cui rigida alma invan s’impetra.

 

ORPHEE

Puissant esprit, dieu redoutable,

Sans qui toute âme, libérée de son corps

Ne peut pas espérer rejoindre l’autre rive,

Ce n’est plus moi qui vis, puisque ma chère épouse

Est privée de sa vie, mon cœur s’en est allé ,

Et sans mon cœur, comment pourrais-je vivre ?

C’est vers elle que j’ai cheminé dans le noir,

Mais non pas vers l’enfer,

Puisque là où se trouve une telle beauté, 

Là est le paradis.

C’est moi, Orphée, et je suis les pas d’Eurydice

Parmi ces déserts ténébreux

Où jamais un mortel n’osa s’aventurer.

O, claires lumières de mes yeux

Un seul de vos regards peut me rendre la vie

Qui pourrait refuser ce secours à ma peine ?

Toi seul, très noble dieu, peux me venir en aide,

Et n’aies aucune crainte ; Sur cette lyre d’or, 

Mes doigts ne sont armés que de cordes suaves :

Le plus dur des esprits ne sait leur résister.

 

CARONTE

Ben mi lusinga alquanto

Dilettandomi il core,

Sconsolato cantore,

Il tuo pianto e’l tuo canto.

Ma lunge, ah, lunge sia da questo petto

Pietà, di mio valor non degno affetto

CARONTE

Tu me flattes, il est vrai, et tu charmes mon cœur,

Chanteur inconsolé, par ton chant et tes pleurs.

Mais que reste loin, très loin de mon cœur,

Toute pitié, sentiment indigne de ma grandeur.

ORFEO

Ahi, sventurato amante,

Sperar dunque non lice

Ch’odan miei prieghi i cittadin d’Averno ?

Onde, qual ombra errante

D’insepolto cadavero e infelice,

Privo sarò del Cielo e dell’Inferno?

Così vuol empia sorte

Ch’in quest’orror di morte

Da te, cor moi, lontano,

Chiami tuo nome invano,

E pregando e piangendo io mi consumi.

Rendetemi il mio ben, tartarei Numi!

Sinfonia

Ei dorme, e la mia cetra ,

Se pietà non impetra

Ne l’indurato core, almen il sonno

Fuggir al mio cantar gl’occhi non ponno.

Su, dunque, a che più tardo ?

Tempo è ben d’approdar su l’altra sponda,

S’alcun non è ch’il nieghi,

Vaglia l’ardir se saran van’i prieghi.

È vago fior del tempo

L’occasion ch’esser dee colta a tempo.

Mentre versan quest’occhi amari fiumi,

Rendetemi il mio ben, tartarei Numi ! 

 

Sinfonia

ORPHEE

Hélas, malheureux amant,

Il m’est donc interdit d’espérer

Que les habitants de l’Averne entendent mes prières

Et que tel l’âme errante

D’un corps infortuné laissé sans sépulture,

Je resterai privé du ciel et de l’enfer ?

Un destin cruel veut-il donc,

Que dans les horreurs de la mort

Loin de toi, mon cœur

Je crie ton nom en vain,

Et que je me consume en prières et en pleurs ?

Rendez-moi ma bien aimée, dieux du Tartare !

Symphonie

Il dort, et, si ma lyre

Ne parvient à toucher son cœur endurci

Du moins, grâce à mon chant, ses yeux

Ne peuvent échapper au sommeil.

En route, donc, pourquoi tarder encore ?

Il est temps désormais d’aborder l’autre rive

Si nul ne s’y oppose,

Que serve l’audace puisque les prières sont vaines.

L’occasion est la fleur de l’instant

Qui doit être aussitôt cueillie.

Tandis que mes yeux versent des torrents de larmes amères,

Rendez-moi ma bien aimée, dieux du Tartare !

Symphonie

 

 

PROSERPINE

Seigneur, Ce malheureux parcourt les champs de la mort

En appelant Eurydice,

Lui dont tu viens d’entendre 

La plainte si douce et mélodieuse

Il a rempli mon cœur de si grande pitié

Qu’à nouveau je t’implore

Pour que ta volonté accède à sa prière.

De grâce, si jamais mes yeux

T’ont prodigué quelque amoureuse douceur,

Si tu as aimé la pureté de mon front

Que tu nommes ton ciel, et par qui tu me jures 

N’avoir rien à envier à Jupiter,

Je t’en prie, au nom de cette flamme

Dont Amour fit jadis brûler ta grande âme,

Permets qu’ Eurydice à nouveau

Jouisse de ces jours

Qu’elle avait coutume de passer dans la joie et les chants

Et console les pleurs du malheureux

PROSERPINA

Quali grazie ti rendo

Or che si nobil dono

Concedi a prieghi miei, Signor cortese ?

Sia benedetto il di che pria ti piacqui,

Benedetta la preda e’l dolce inganno,

Poiché, per mia ventura

Feci acquisto di te perdendo il sole.

 

PROSERPINE

Quelles grâces te rendrai-je

Maintenant qu’à mes prières

Tu accordes, noble Seigneur, un don si généreux ?

Béni soit le jour où je t’ai plu pour la première fois

Et bénis soient le rapt et la douce embuscade,

Puisque pour mon bonheur

C’est toi que je gagnai en perdant le soleil.

 

PLUTONE

Benché severo ed immutabil fato

Contrasti, amata sposa, I tuoi desiri,

Pur null’omai si nieghi

A tal beltà congiunta a tanti prieghi .

La sua cara Euridice

Contra l’ordin fatale Orfeo ricovri.

Ma pria che tragga il piè da questi abissi

Non mai volga ver lei gli avidi lumi,

Ché di perdita eterna

Gli fia certa cagion un solo sguardo.

Io cosi stabilisco.Or nel mio regno

Fate, o ministri, il mio voler palese,

Si che l’intenda Orfeo

E l’intenda Euridice,

Né di cangiarlo altrui sperar più lice.

MINISTRO

O degli abitator de l’ombre eterne

Possente Re, legge ne sia tuo cenno.

Ché ricercar altre cagioni interne

Di tuo voler nostri pensier non denno.

 

PLUTON

Bien qu’un inflexible et immuable destin,

Epouse bien aimée, s’oppose à tes désirs,

Que rien pourtant ne soit plus refusé

A tant de beauté jointe à tant de prières.

Et qu’Orphée, malgré l’arrêt fatal Retrouve sa chère Eurydice.

Mais avant que d’avoir quitté ces abîmes

Que jamais vers elle il ne tourne ses yeux avides,

Car, pour un seul regard, inéluctablement,

Il la perdrait à tout jamais .

Telle est ma décision. Maintenant, ô, ministres

Afin qu’Orphée l’entende, et l’entende Eurydice,

Faîtes, dans mon royaume, savoir ma volonté,

Et que personne, alors, n’espère la changer.

LE MINISTRE

O !Puissant roi des habitants

Des ténèbres éternelles, que tes ordres soient notre loi,

Car nos pensées ne doivent pas chercher

D’autre causes internes que ta volonté.

 

SPIRITO 

Trarrà da quest’orribili caverne

Sua sposa Orfeo, s’adoprerà suo ingegno

Si che nol vinca giovenil desio,

Né i gravi imperi suoi sparga d’oblio ?

 

UN   ESPRIT

Orphée arrachera -t-il son épouse de ces froides cavernes ?

Saura-t-il, de toutes ses forces, résister à son juvénile désir

Et ne pas oublier l’implacable décret ?

 Orphée.

 

ORFEO

Qual onor di te fia degno,

Mia cetra onnipotente,

S’hai nel tartareo regno

Piegar potuto ogni indurata mente ?

Luogo avrai fra le più belle

Imagini celesti,

Ond’al tuo suon le stelle

Danzeranno in giri or tardi or presti.

Io per te felice a pieno,

Vedrò l’amato volto,

E nel candido seno

De la mia dona oggi sarò raccolto.

Ma mentre io canto, oimè, chi m’assicura

Ch’ella mi segua ? Oimè, chi mi nasconde

De l’amate pupille il dolce lume?

Forse d’invidia punte

Le deità d’Averno,

Perch’io non sia qua giù felice appieno

Mi tolgono il mirarvi,

Luci beate e liete,

Che sol col sguardo altrui bear potete?

Ma che temi, mio core ?

Ciò che vieta Pluton, comanda Amore.

A nume più possente,

Che vince uomini e dei,

Ben ubbidir dovrei.

(Qui si fa stepito dietro la tela.)

PLUTON

Tes douces paroles ravivent dans mon cœur

L’ancienne blessure d’amour.

Ainsi ton âme n’aspirera-t-elle plus

A un plaisir céleste

Qui te ferait abandonner le lit de ton époux..

CHŒUR DES ESPRITS

Pitié et amour, aujourd’hui

Triomphent en enfer.

UN   ESPRIT

Voici l’aimable chanteur

Qui conduit son épouse vers la lumière céleste.

 

ORPHEE

Quel honneur sera digne de toi,

Ma lyre toute puissante,

Si dans le royaume du Tartare

Tu as pu fléchir les esprits les plus endurcis ?

Tu auras ta place parmi les plus belles

Images du ciel

Et au son de ta musique, les étoiles

Danseront en rondes lentes ou vives.

Moi, comblé grâce à toi,

Je verrai le visage aimé,

Et aujourd’hui je me reposerai

Sur le sein candide de mon épouse.

Mais hélas, tandis que je chante, qui peut m’assurer

Qu’elle me suit ? Qui me cache, hélas,

Le doux éclat de ces yeux bien-aimés ?

Peut-être, poussés par l’envie,

Les divinités de l’Averne,

Afin qu’ici-bas je ne sois pas pleinement comblé,

Me privent-elles de vous contempler,

Qui, d’un seul regard peuvent rendre un mortel heureux ?

Mais que crains-tu, mon cœur ?

Ce qu’interdit Pluton, Amour l’ordonne.

A cette force plus puissante

Qui soumet et les hommes et les dieux,

Je devrais plutôt  obéir.

(Un bruit.)

ACTE IV

PLUTONE

Tue soavi parole d’amor l’antica piaga

Rinfrescan nel mio core.

Cosi l’anima tua non sia più vaga

Di celeste diletto,

Si ch’abbandoni il marital tuo letto.

CORO DI SPIRITI

Pietade, oggi, e Amore

Trionfan ne l’Inferno.

SPIRITO 

Ecco il gentil cantore,

Che sua sposa conduce al ciel superno

Orphée, livret de l’opera de Gluck

DEUXIÈME TABLEAU

Une contrée enchanteresse des champs Elysées pleine de superbe buissons, de fleurs, de ruisseaux, etc.



EURYDICE
Cet asile
Aimable et tranquille
Par le bonheur est habité,
C'est le riant séjour de la felicité.
Nul objet ici n'enflamme
L'âme,
Une douce ivresse
Laisse
Un calme heureux dans tous les sens;
Et la sombre tristesse
Cesse
Dans ces lieux innocents.

EURYDICE ET CHŒUR
Cet asile aimable et tranquille, etc

(Pendant le postlude du chœur disparaissent Eurydice et les esprits bienheureux. Orphée est perdu dans l'admiration.)

ORPHÉE
Quel nouveau ciel pare ces lieux!
Un jour plus doux s'offre à mes yeux.
Quels sons harmonieux!
J'entends retentir ce bocage
Du ramage
Des oiseaux,
Du murmure des ruisseaux
Et des soupirs de zéphire.
On goûte en ce séjour un eternel repos.
Mais le calme qu'on y respire
Ne saurait adoucir mes maux.
O toi, doux objet de ma flamme,
Toi seule y peux calmer le trouble de mon âme!
Tes accents
Tendres et touchants,
Tes regards séduisants,
Ton doux sourire
Sont les seuls biens que je désire.

(Attirés par le chant d'Orphée, les esprits bienheureux se sont rapprochés. Orphée regarde autour de lui, le chœur s'en approche.)

CHŒUR
Viens dans ce séjour paisible,
Époux tendre, amant sensible,
Viens bannir tes justes regrets.
Eurydice va paraître,
Eurydice va renaître
Avec de nouveaux attraits.

ORPHÉE
O vous, ombres que j'implore,
Hâtez-vous de la rendre à mes embrassements.
Ah! si vous ressentiez le feu qui me dévore,
Si vous étiez aussi de fidèles amants,
J'aurais déjà revu la beauté que j'adore!
Hâtez-vous de me rendre heureux!

CHŒUR
Le destin répond à tes vœux.

(Eurydice est introduite par une partie du chœur.)

Près du tendre object qu'on aime
On jouit du bien suprême,
Goûtez le sort plus doux.
Va renaître pour Orphée,
On retrouve l'Elysée
Auprès d'un si tendre époux.

(Eurydice est ramenée à Orphée par le chœur; sans la regarder, il saisit sa main et l'emmène. Le rideau se baisse lentement.)


 

ACTE III

PREMIER TABLEAU

Une caverne sombre avec un labyrinthe plein de couloirs obscurs et entournée de rochers mousseaux, tombants.

(Orphée mène encore Eurydice par la main sans le regarder.)



ORPHÉE
Viens, viens, Eurydice, suis-moi,
Unique et doux objet de l'amour plus tendre.

EURYDICE
C'est toi? je te vois?
Ciel! devais-je m'attendre?

ORPHÉE
Oui, tu vois ton époux. J'ai voulu vivre encor,
Et je viens t'arracher au séjour de la mort!
Touché de mon ardeur fidèle,
Jupiter au jour te rappelle.

EURYDICE
Quoi! je vis, et pour toi?
Ah, grands dieux, quel bonheur!

ORPHÉE
Eurydice, suis-moi,
Profitons sans retard de la faveur céleste;
Sortons, fuyons ce lieu funeste.
Non, tu n'es plus une ombre,
Et le dieu des amours
Va nous réunir pour toujours.

EURYDICE
Qu'entends-je? ah! se peut-il?
Heureuse destinée!
Eh quoi, nous pourrons resserrer
Les nœuds d'amour et d'hyménée?

ORPHÉE
Oui, suis mes pas sans différer.

EURYDICE
Mais, par ta main ma main n'est plus pressée!
Quoi! tu fuis ces regards que tu chérissais tant!
Ton cœur pour Eurydice est-il indifférent?
La fraîcheur de mes traits serait-elle effacée?

ORPHÉE (à part)
Oh dieux! quelle contrainte!
(haut)
Eurydice, suis-moi,
Fuyons de ces lieux, le temps presse;
Je voudrais t'exprimer l'excès de ma tendresse;
(à part)
Mais je ne puis, oh! trop funeste loi!

EURYDICE
Un seul de tes regards . . .

ORPHÉE
Tu me glaces d'effroi!

EURYDICE
Ah! barbare!
Sont-ce là les douceurs que ton cœur me prépare?
Est-ce donc là le prix de mon amour?
Oh fortune jalouse!
Orphée, hélas! se refuse en ce jour
Aux transports innocents de sa fidèle épouse.

ORPHÉE (sent qu'elle est près de lui, il saisait sa main voulant l'emmener)
Par tes soupçons, cesse de m'outrager.

EURYDICE (indignée retire sa main)
Tu me rends à la vie, et c'est pour m'affliger!
Dieux, reprenez un bienfait que j'abhore!
Ah! cruel époux, laisse-moi!

ORPHÉE
Viens! Suis un époux qui t'adore.

EURYDICE
Non, ingrat, je préfère encore
La mort qui m'éloigne de toi.

ORPHÉE
Vois ma peine!

EURYDICE
Laisse Eurydice!

ORPHÉE
Ah! cruelle! Quelle injusice!
Ah viens! je t'implore, suis mes pas!

EURYDICE
Parle, réponds, je t'en supplie!

ORPHÉE
Dût-il m'en coûter la vie,
Non, je ne parlerai pas.

ENSEMBLE
Dieux, soyez-moi favourables!
Voyez mes pleurs,
Dieux secourables!
Quels tourments insupportables!
Quelles rigueurs
Mêlez-vous à vos faveurs!

(Chacun d'eux se dirige vers un autre côté de la scène où ils restent adossés à un arbre ou à un rocher.)

EURYDICE
Mais d'où vient qu'il persiste à garder le silence?
Quels secrets veut-il me cacher?
Au séjour du repos devait-il m'arracher
Pour m'accabler de son indifférence?
Oh destin rigoureux!
Ma force m'abandonne,
Le voile de la mort retombe sur mes yeux!
Je frémis, je languis,
Je frissonne, je tremble, je pâlis,
Mon cœur palpite,
Un trouble secret m'agite,
Tous mes sens sont saisis d'horreur
Et je succombe à ma douleur.

Fortune ennemie,
Quelle barbarie!
Ne me rends-tu la vie
Que pour les tourments?

Je goûtais les charmes
D'un repos sans alarmes,

ORPHÉE
Ses injustes soupçons
Redoublent mes tourments!
Que dire? que faire?
Elle me désespère,

EURYDICE
Le trouble, les larmes
Remplissent aujourd'hui
Mes malheureux moments.

ORPHÉE
Ne pourrai-je calmer
Le trouble de mes sens?
Que mon sort est à plaindre!
Je ne puis me contraindre!

EURYDICE
Je frissonne, je tremble.

Fortune ennemie, etc

ORPHÉE (à part)
Quelle épreuve cruelle!

EURYDICE
Tu m'abandonnes, cher Orphée!
En ce moment ton épouse désolée
Implore en vain tes secours;
O dieux! à vous seuls j'ai recours.
Dois-je finir mes jours
Sans un regard de ce que j'aime?

ORPHÉE (à part)
Je sens mon courage exprir,
Et ma raison se perd
Dans mon amour extrême;
J'oublie et la défense, Eurydice et moi même.
(Il fait un mouvement pour se retourner et tout à fait se retient.)
Ciel!

EURYDICE
Cher époux, je puis à peine respirer.
(Elle tombe sur un rocher.)

ORPHÉE (fort)
Rassure-toi, je vais tout dire . . .
Apprends . . .
(à part)
Que fais-je! . . . Justes dieux,
Quand finirez-vous mon martyre?

EURYDICE
Reçois donc mes derniers adieux,
Et souviens-toi d'Eurydice . . .

ORPHÉE (à part)
Où suis-je? Je ne puis résister à ses pleurs.
(fort)
Non, le ciel ne veut pas un plus grand sacrifice.
(Il se retourne avec impétousité et regarde Eurydice.)
Oh ma chère Eurydice . . .

EURYDICE
(Fait un effort de se lever, et meurt.)
Orphée! o ciel! je meurs . . .

ORPHÉE

Malheureux, qu'ai-je fait?
Et dans quel précipice
M'a plongé mon funeste amour?
Chère épouse! Eurydice!
Eurydice! Chère épouse!
Elle ne m'entend plus, je la perds à jamais!
C'est moi qui lui ravis le jour!


Loi fatale!
Cruel remords!
Ma peine est sans égale.
Dans ce moment funeste
Le désespoir, la mort
Est tout ce qui me reste.

J'ai perdu mon Eurydice,
Rien n'égale mon malheur;
Sort cruel! quelle rigueur!
Rien n'égale mon malheur!
Je succombe à ma douleur!
Eurydice, Eurydice,
Réponds, quel supplice!
Réponds-moi!
C'est ton époux fidèle;
Entends ma voix qui t'appelle.

J'ai perdu mon Eurydice, etc

Eurydice, Eurydice!
Mortel silence! Vaine espérance!
Quelle souffrance!
Quel tourment déchire mon cœur!

J'ai perdu mon Eurydice, etc

Ah! puisse ma douleur finir avec ma vie!
Je ne survivrai pas à ce dernier revers.

 

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