L'éducation en question :
Problématique : Comment se dessine un nouveau rapport au savoir pendant l’époque de la Renaissance, quels en sont les méthodes et les contenus.
Compétences mises en œuvre : - faire des hypothèses de lecture, proposer des interprétations- formuler une appréciation personnelle et savoir la justifier
Finalités : La constitution et l'enrichissement d'une culture littéraire ouverte sur d'autres champs du savoir et sur la société
Lectures Analytiques :
LA 11 : Rabelais, Gargantua , Cha. 23 : Education de Gargantua selon les principes de Ponocrates
LA 12 : Rabelais, Gargantua, Cha.57 : l’Abbaye de Thélème
Textes complémentaires : ( extraits du manuel l’Ecume des lettres)
1. Rabelais, Gargantua, Cha. 21 : La mauvaise éducation de Gargantua
2. Rabelais, Pantagruel, 1532, Lettre de Gargantua à son fils, p 362
3. Montaigne, Les Essais, I, XXVI, « Instruire c’est former le jugement »
4. Du Bellay, les Regrets, p 364
5. Brecht, La vie de Galilée, p 371
L’étude de Gargantua selon la discipline de ses précepteurs (1) sophistes (2)
Chapitre XXI
Après l’épisode du torchecul, Grandgousier, convaincu de la merveilleuse intelligence de son fils, décide de lui donner une éducation à la hauteur de ses capacités. On lui indique alors « un grand docteur sophiste nommé maître Tubal Holoferne », bientôt remplacé par Ponocrates.
Ce dernier observe les fruits de cette éducation.
[...]
Il employait donc son temps de telle façon qu’ordinairement il s’éveillait entre huit et neuf heures, qu’il fût jour ou non ; ainsi l’avaient ordonné ses anciens régents (3), alléguant ce que dit David : Vanum est vobis ante lucem surgere (4).
Puis il gambadait, sautait et se vautrait dans le lit quelque temps pour mieux réveiller ses esprits animaux (5) ; il s’habillait selon la saison, mais portait volontiers une grande et longue robe de grosse étoffe frisée fourrée de renards ; après, il se peignait du peigne d’Almain (6), c’est-à-dire des quatre doigts et du pouce, car ses précepteurs disaient que se peigner autrement, se laver et se nettoyer était perdre du temps en ce monde.
Puis il fientait, pissait, se raclait la gorge, rotait, pétait, bâillait, crachait, toussait, sanglotait, éternuait et morvait comme un archidiacre (7) et, pour abattre la rosée et le mauvais air, déjeunait de belles tripes frites, de belles grillades, de beaux jambons, de belles côtelettes de chevreau et force soupes de prime (8).
Ponocrates (9) lui faisait observer qu’il ne devait pas tant se repaître (10) au sortir du lit sans avoir premièrement fait quelque exercice. Gargantua répondit :
« Quoi ! n’ai-je pas fait suffisamment d’exercice ? Je me suis vautré six ou sept fois dans le lit avant de me lever. N’est-ce pas assez ? Le pape Alexandre faisait ainsi, sur le conseil de son médecin juif, et il vécut jusqu’à la mort en dépit des envieux. Mes premiers maîtres m’y ont accoutumé, en disant que le déjeuner donnait bonne mémoire : c’est pourquoi ils buvaient les premiers. Je m’en trouve fort bien et n’en dîne (11) que mieux. Et Maître Tubal (12) (qui fut le premier de sa licence (13) à Paris) me disait que ce n’est pas tout de courir bien vite, mais qu’il faut partir de bonne heure. Aussi la pleine santé de notre humanité n’est pas de boire des tas, des tas, des tas, comme des canes, mais bien de boire le matin, d’où la formule :
Lever matin n’est point bonheur ;
Boire matin est le meilleur. »
Après avoir bien déjeuné comme il faut, il allait à l’église, et on lui portait dans un grand panier un gros bréviaire (14) emmitouflé, pesant, tant en graisse qu’en fermoirs et parchemins, onze quintaux et six livres à peu près. Là, il entendait vingt-six ou trente messes. Dans le même temps venait son diseur d’heures (15), encapuchonné comme une huppe (16), et qui avait très bien dissimulé son haleine avec force sirop de vigne (17). Avec celui-ci, Gargantua marmonnait toutes ces kyrielles (18), et il les épluchait si soigneusement qu’il n’en tombait pas un seul grain en terre.
Au sortir de l’église, on lui amenait sur un char à bœufs un tas de chapelets de Saint-Claude (19), dont chaque grain était aussi gros qu’est la coiffe d’un bonnet ; et, se promenant par les cloîtres, galeries ou jardin, il en disait plus que seize ermites (20).
Puis il étudiait quelque méchante demi-heure, les yeux posés sur son livre mais, comme dit le poète comique (21), son âme était dans la cuisine.
Pissant donc un plein urinoir, il s’asseyait à table, et, parce qu’il était naturellement flegmatique, il commençait son repas par quelques douzaines de jambons, de langues de bœuf fumées, de boutargues (22), d’andouilles, et d’autres avant-coureurs de vin (23).
Pendant ce temps, quatre de ses gens lui jetaient en la bouche, l’un après l’autre, continûment, de la moutarde à pleines pelletées. Puis il buvait un horrifique trait de vin blanc pour se soulager les reins. Après, il mangeait selon la saison, des viandes (24) selon son appétit, et cessait quand le ventre lui tirait.
Pour boire, il n’avait ni fin ni règle, car il disait que les bornes et les limites étaient quand, la personne buvant, le liège des pantoufles enflait en hauteur d’un demi-pied.
Notes :
1 - Précepteurs : maîtres.
2 - Sophistes : dans l’antiquité, le sophiste est une sorte d’enseignant. Ici, le terme est péjoratif et désigne un maître capable de soutenir tout et son contraire par des arguments subtils.
3 - Régents : maîtres.
4 - Citation d’un psaume de l’Ancien Testament : Il est vain de se lever avant la lumière.
5 - Ses esprits animaux : selon la médecine de l’époque, liquide qui se propageait dans tout l’organisme pour y maintenir l’énergie vitale.
6 - Jacques Almain était un théologien du début du XVIe siècle. Il y a là un jeu de mot (se peigner à la main).
7 - Archidiacre : supérieur du curé.
8 - Soupes de prime : tranches de pain trempées dans un bouillon, qu’on mangeait au couvent à prime.
9 - Ponocrates est le nouveau maître de Gargantua. En grec, son nom signifie «bourreau de travail».
10 - Se repaître : se nourrir abondamment, engloutir.
11 - Le dîner est le déjeuner de l’époque.
12 - Maître Tubal est l’ancien maître de Gargantua.
13 - Le premier de sa licence : le premier dans le diplôme obtenu à l’université.
TEXTE 2 : RABELAIS, GARGANTUA. chapitre 23 : Comment Gargantua fut éduqué par Ponocrates selon une méthode telle qu’il ne perdait pas une heure de la journée
Quand Ponocrates connut le fâcheux mode de vie de Gargantua, il décida de lui inculquer les belles lettres d’une autre manière, mais pour les premiers jours il ferma les yeux, considérant que la nature ne subit pas de mutations sans grande violence.
Et pour mieux commencer sa tâche, il pria un docte médecin de ce temps-là, nommé maître Théodore, de considérer s’il était possible de remettre Gargantua en meilleure voie. Celui-là le purgea en règle avec de l’Ellebore d’Anticyre, et, grâce à ce médicament, il lui nettoya le cerveau de toute corruption et de tout vice. Par ce biais, Ponocrates lui fit oublier tout ce qu’il avait appris avec ses précepteurs, comme faisait Timothée avec ceux de ces disciples formés par d’autres musiciens.
(…)Ensuite, il le soumit à un rythme de travail tel qu’il ne perdait pas une heure de la journée, mais consacrait au contraire tout son temps aux lettres et aux études libérales. Gargantua s’éveillait donc vers quatre heures du matin. Pendant qu’on le frictionnait, on lui lisait quelques pages des saintes Ecritures, à voix haute et claire, avec la prononciation requise. Cet office était dévolu à un jeune page natif de Basché, nommé Anagnostes. Suivant le thème et le sujet du passage, bien souvent, il se mettait à révérer, à adorer, prier et supplier le bon Dieu dont la majesté et les merveilleux jugements apparaissaient à la lecture.
Puis il allait aux lieux secrets excréter le produit des digestions naturelles. Là, son précepteur lui répétait ce qu’on avait lu et lui expliquait les passages les plus obscurs et les plus difficiles.
En revenant, ils considéraient l’état du ciel, regardant s’il était comme ils l’avaient remarqué la veille au soir et en quels signes entrait le soleil, et aussi la lune, ce jour-là.
Cela fait, il était habillé, peigné, coiffé, apprêté et parfumé, et, pendant ce temps, on lui répétait les leçons de la veille. Lui-même récitait par cœur et y appliquait des exemples pratiques concernant la vie des hommes. On dissertait parfois pendant deux ou trois heures.(…)
Ensuite, pendant trois bonnes heures on lui faisait la lecture. Après quoi, ils sortaient, toujours en discutant du sujet de la lecture et allaient faire du sport au grand Braque ou dans les prés ; ils jouaient à la balle, à la paume, à la pile en triangle, s’exerçant élégamment le corps, comme ils s’étaient auparavant exercé l’esprit.
(…)
Cependant, Monsieur l’Appétit venait et ils s’asseyaient à table juste au bon moment.
Au début du repas, on lisait quelque plaisante histoire des gestes anciennes, jusqu’à ce qu’il prenne son vin.
Alors, si on le jugeait bon, on poursuivait la lecture, ou ils commençaient à deviser ensemble, joyeusement, parlant pendant les premiers mois de la vertu, de la propriété, de l’efficacité et de la nature de tout ce qui leur était servi à table : du pain, du vin, de l’eau, du sel, des viandes, des poissons, des fruits, des herbes, des racines et de leur préparation. Ce faisant, Gargantua apprit en peu de temps tous les paragraphes relatifs à ce sujet dans Pline, Athénée, Dioscoride, Julius Pollux, Galien, Porphyre, Oppien, Polybe, Heliodore, Aristote, AElien et d’autres. Sur de tels propos, ils faisaient souvent apporter à table les livres cités plus haut, pour plus de sûreté. Gargantua retint si bien et si intégralement les propos tenus qu’il n’y avait pas alors un seul médecin qui sût la moitié de ce qu’il avait retenu.
(.. .) Sur ce, on apportait les cartes, non pas pour jouer, mais pour apprendre mille petits amusements et inventions nouvelles qui découlaient tous de l’arithmétique. Il prit goût à cette science des nombres, et tous les jours, après le dîner et le souper, il y a passait son temps avec autant de plaisir qu’il pouvait en prendre aux dé et aux cartes.
(…) Et non seulement il prit goût à cette discipline, mais aussi aux autres sciences mathématiques, comme la géométrie, l’astronomie et la musique.(…)
Cela fait, ils sortaient de leur demeure, accompagnés d’un jeune gentilhomme de Touraine, écuyer nommé Gymnaste, qui lui enseignait l’art de la chevalerie.
(suit ici une description de son apprentissage de la lance, de la hache, de la pique, de la chasse)
Alors, il ne rompait pas la lance, car c’est la plus grande sottise de dire : j’ai rompu dix lances au tournoi ou à la bataille ». Un charpentier en ferait autant ! Par contre, c’est une gloire dont on peut se louer, que d’avoir rompu dix ennemis avec la même lance.(…)
Il nageait en eau profonde, à l’endroit, à l’envers, sur le côté, de tous les membres, ou seulement des pieds, avec une main en l’air, portant un livre, il traversait toute la Seine sans le mouiller, entraînant son manteau comme Jules César. Puis, à la force du poignet, il montait dans un bateau d’un seul effort ; de là, il se jetait de nouveau à l’eau, la tête la première, sondait le fonds, explorait le creux des rochers, plongeait dans les trous et les gouffres.
(…)Et pour s’exercer la poitrine et les poumons, il criait comme tous les diables. Une fois, je l’ai entendu appeler Eudémon à Montmartre, depuis la porte Saint-Victor ; Stentor, à la bataille de Troie, n’eut jamais une telle voix.
Texte 3 : L’abbaye de Thélème :
Toute leur vie était dirigée non par les lois, statuts ou règles, mais selon leur bon vouloir et libre-arbitre. Ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait. Nul ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire quoi que ce soit... Ainsi l'avait établi Gargantua. Toute leur règle tenait en cette clause :
FAIS CE QUE VOUDRAS,
car des gens libres, bien nés, biens instruits, vivant en honnête compagnie, ont par nature un instinct et un aiguillon qui pousse toujours vers la vertu et retire du vice; c'est ce qu'ils nommaient l'honneur. Ceux-ci, quand ils sont écrasés et asservis par une vile sujétion et contrainte, se détournent de la noble passion par laquelle ils tendaient librement à la vertu, afin de démettre et enfreindre ce joug de servitude; car nous entreprenons toujours les choses défendues et convoitons ce qui nous est dénié.
Par cette liberté, ils entrèrent en une louable émulation à faire tout ce qu'ils voyaient plaire à un seul. Si l'un ou l'une disait : " Buvons ", tous buvaient. S'il disait: "Jouons ", tous jouaient. S'il disait: " Allons nous ébattre dans les champs ", tous y allaient. Si c'était pour chasser, les dames, montées sur de belles haquenées, avec leur palefroi richement harnaché, sur le poing mignonne- ment engantelé portaient chacune ou un épervier, ou un laneret, ou un émerillon; les hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient tant noblement instruits qu'il n'y avait parmi eux personne qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d'instruments harmonieux, parler cinq à six langues et en celles-ci composer, tant en vers qu'en prose. Jamais ne furent vus chevaliers si preux, si galants, si habiles à pied et à cheval, plus verts, mieux remuant, maniant mieux toutes les armes. Jamais ne furent vues dames si élégantes, si mignonnes, moins fâcheuses, plus doctes à la main, à l'aiguille, à tous les actes féminins honnêtes et libres, qu'étaient celles-là. Pour cette raison, quand le temps était venu pour l'un des habitants de cette abbaye d'en sortir, soit à la demande de ses parents, ou pour une autre cause, il emmenait une des dames, celle qui l'aurait pris pour son dévot, et ils étaient mariés ensemble; et ils avaient si bien vécu à Thélème en dévotion et amitié, qu'ils continuaient d'autant mieux dans le mariage; aussi s'aimaient-ils à la fin de leurs jours comme au premier de leurs noces.
TEXTE COMPLÉMENTAIRE 1 : RABELAIS, PANTAGRUEL
TC 2. Montaigne
De l'institution des enfants.
A un enfant de maison, qui recherche les lettres, non pour le gain car une fin si abjecte est indigne de la grâce
et faveur des Muses, et puis tue regarde et dépend d’autrui.), ni tant pour les commodités externe que pour les siennes propres, et pour s'en enrichir et parer au dedans, ayant plutôt envie d’en
tirer un habile homme qu’un homme savant, je voudrais aussi qu'on fût soigneux de lui choisir un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu’on y requît tous les deux,
mais plus les mœurs et l’entendement que la science; et qu’il se conduisît en sa charge d’une nouvelle manière.
On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un
entonnoir; et notre charge, ce n’est que redire ce qu’on nous a dit. Je voudrais qu’il corrigeât cette partie, et que, de belle arrivée , selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commençât à
la mettre sur la montre, lui faisant goûter les choses; les choisir et discerner d’elle-même ; quelquefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente
et parle seul, je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. Socrate et, depuis, Arcésilas faisaient premièrement parler leurs disciples, et puis ils parlaient à
eux.
Obest plerum que iis qui discere volunt, auctoritas eorum qui
docent
Il est bon qu’il le fasse trotter devant lui pour juger de son train, et
juger jusques à quel point il se doit ravaler, pour s’accommoder à sa force. A faute de cette proportion, nous gâtons tout; et de la savoir choisir et s’y conduire bien mesurément,. c’est l’une
des p lus ardues besognes que je sache ; et est l’effet d’une haute âme, et bien forte, savoir condescendre à ses allures puériles et les guider. Je marche plus sûr et plus ferme à mont qu’à
val.
Ceux qui, comme porte nôtre usage, entreprennent, d’une même leçon et
pareille mesure de conduite, régenter plusieurs esprits de si diverses mesures et formes, ce n’est pas merveille si, en tout un peuple d’enfants, ils en rencontrent à peine deux, ou trois qui
rapportent quelque juste fruit de leur discipline.
Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens
et de la substance ;et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages et
accommoder à autant de divers sujets, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien fait sien, prenant l’instruction de son progrès des pédagogismes dc Platon
C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme
on l’a avalée; l’estomac. n'a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on lui avait donné à cuire.
Notre âme ne branle qu’à crédit, liée et contrainte à l’appétit des
fantaisies d’autrui, serve et captivée sous l’autorité de leur leçon ; on nous a tant assujettis aux cordes que nous n’avons plus de franches allures ; notre vigueur et liberté est éteinte :
Nunquam tutela sua flunt
Qu’il lui fasse tout passer par l’étamine et ne loge rien en sa tête par
simple autorité et à crédit; les principes d’Aristote ne lui soient principes, non plus que ceux des Stoïciens ou Épicuriens. Qu’on lui propose cette diversité de jugements : il choisira, s’il
peut, sinon il en demeurera en doute. Il n’y a que les fois certains et résolus.
TC 3 Du Bellay, Les regrets, sonnet 32
· Je me ferai savant en la
philosophie,
En la mathématique et médecine aussi :
Je me ferai légiste, et d'un plus haut souci
Apprendrai les secrets de la théologie :
Du luth et du pinceau j'ébatterai ma vie,
De l'escrime et du bal. Je discourais ainsi,
Et me vantais en moi d'apprendre tout ceci,
Quand je changeai la France au séjour d'Italie.
O beaux discours humains ! Je suis venu si loin,
Pour m'enrichir d'ennui, de vieillesse et de soin,
Et perdre en voyageant le meilleur de mon âge.
Ainsi le marinier souvent pour tout trésor
Rapporte des harengs en lieu de lingots d'or,
Ayant fait, comme moi, un malheureux voyage.
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Education selon les préceptes sophistes |
citations |
Education selon les préceptes de Ponocrates |
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Matière étudiée |
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Façon de les aborder
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Proportion études/repas |
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Etat d’esprit de l’élève, résultat |
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Identité et personnalité des précepteurs |
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Présence d’un suivi, d’une continuité ? |
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Comment s’arrêtent les activités ? |
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HYGIENE Comment s’habille G ? |
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Coiffure |
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Changement d’habit au cours du texte ? |
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Hygiène ? |
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Modalités de la Récitations |
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Teneur des débats ? |
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Education selon les préceptes sophistes |
Education selon les préceptes de Ponocrates |
Matière étudiée |
Messe |
Beaucoup, que le texte religieux |
Rapport au texte religieux |
Répétition |
Religieux : prière, action de grâce : pratique émue |
Façon de les aborder
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Répétition |
Ludique, débat, explication, dissertations, observation
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Proportion études/repas |
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Etat d’esprit de l’élève, résultat |
Rêveur, chicaneur |
Le meilleur |
Identité et personnalité des précepteurs |
Anonymes, serviteurs, un peu matériels |
A son service mais discutent : théodore, eudémon, anagnostes, ponocrates, gymnaste : se consultent sur la démarche à suivre. |
Présence d’un suivi, d’une continuité ? |
: répétition à vie |
Reprend et répète plusieurs fois les lectures |
Comment s’arrêtent les activités ? |
Sensation corporelle de satiété |
Sensation corporelle de fatigue |
HYGIENE Comment s’habille G ? |
Fourrure |
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Coiffure |
Peigne d’aleman |
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Hygiène ? |
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Se lavait les mains et le yeux de belle eau fraîche |
Mélange théorie/pratique ? |
Extrême corporel, extrême spirituel de l’autre |
Pour la nourriture, pour l’astronomie, |
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un des principes de construction du chap 23 : antithèse, / 21
Commentaire du début du chapitre 23 : Gargantua
Problématique : Comment, à travers une écriture ludique, Rabelais parvient-il à dessiner les grandes lignes d’une éducation humaniste ?
I Principes d’une éducation idéale :
A : une autre méthode
+ pour la nourriture : de l’empirique au théorique.
mais : persistance de la mémoire et de la répétition
B : d’autres contenus
II. Pour la constitution d’un homme harmonieux
ècontre l’abstraction, qui apparait aussi monstrueuse que l’excès de bestialité
III Un texte ludique
.de geste : la nage : ubiquité, hyperactivité.
-mais aussi rire joyeux, ludique, lié à une détente, contre l’esprit dogmatique et sérieux des Sorbonnards.
VI. Un texte inscrit dans l’économie du livre entier :
Conclusion : un texte joyeux, qui témoigne de l’enthousiasme de cette première moitie du 16e s, qui contraste avec le scepticisme de Montaigne.
L'éducation du héros occupe dix chapitres, comportant plusieurs épisodes :
Nous allons nous attarder davantage sur ce diptyque, en nous posant plusieurs questions :
L'éducation scolastique :
Le chapitre XX suit l'ordre chronologique d'une journée-type.
Les caractéristiques d'une telle éducation, évidemment caricaturale, sont les suivantes :
L'éducation humaniste :
Les chapitres XXI et XXII : la journée-type d'une éducation humaniste.
Et s'il pleut, l'on fait évidemment moins d'exercice (mais l'on mange moins) ; et l'on profite de ces moments pour apprendre d'autres arts : on visite toutes sortes d'artisans, on étudie la peinture et la sculpture.... et même l'art des bateleurs !
Une fois par mois, cependant, Ponocrates offre congé à son élève : une excursion dans la banlieue parisienne, pas de livres ni de leçons... sauf la littérature !
Un programme encyclopédique, digne d'un géant.
Il ne faut évidemment pas prendre au sérieux cette incroyable accumulation de savoirs et de savoirs-faire, ni ce programme digne du bagne. Mais si "l'honnête homme" du seizième siècle peut et doit avoir des lumières de tout, un "honnête géant" doit posséder un savoir à la mesure de sa taille (cf. les premiers chapitres) et de son gigantesque appétit. Quand un homme joue d'un ou deux instruments de musique, lui les pratique tous, et quand un humain se livre à ce qu'on n'appelle pas encore un sport, le géant doit, lui, exercer une force sans commune mesure... Ainsi, si ses deux compagnons, Eudémon l'intellectuel et Gymnaste, le sportif, se partagent la perfection, chacun en son domaine, Gargantua, lui, doit cumuler les deux !
On peut également penser que l'usage savant de chaque instant de la journée, au point de priver le pauvre Gargantua de tout moment de répit et d'intimité, a quelque chose de caricatural. Ponocrates le suit jusqu'aux toilettes ! On est passé d'un extrême à l'autre, d'un total laisser-aller à une rentabilisation de tous les instants.
Rabelais se livre donc ici aux joies de la démesure : dans une volonté satiriste de condamner l'éducation ancienne, et militante de promouvoir la nouvelle, il entraîne son lecteur, avec jubilation, dans un programme qui relève davantage de la féerie que de la réalité !
Un programme humaniste, marqué par l'équilibre.
Cependant, le principe même appliqué par Ponocrates n'a rien qui ne puisse satisfaire les exigences humanistes :
Le propos de Rabelais est donc étonnamment moderne : réhabilitation du corps, mais sans pour autant renoncer à toute règle ; intérêt pour de nouvelles matières, telles que les arts, les sciences ; volonté de recourir aux textes mêmes, et à l'expérience... Il ressort de ce texte un immense appétit pour la vie, le savoir, et les plaisirs raisonnables !
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »)
Les grands axes d’étude : (plan de l’étude) - aidez-vous des notions de genre et de registre.
I) Forme : La lettre d’un père à son fils, insérée dans un roman.
II) Registre : L’enthousiasme de l’humanisme au début de la Renaissance
III) Le programme éducatif proposé par Rabelais : un exemple de l’idéal pédagogique humaniste.
IV) Argumentation : Les buts de l’éducation humaniste.
V) Histoire littéraire : Les caractéristiques de l’humanisme révélées par cette lettre.
I) Forme : La lettre d’un père à son fils :
Indices, énonciation :
Date (17 mars) et lieu (d’Utopie, nom du royaume de G.). NB : « Utopie » montre bien que c’est un idéal.
Formule finale de salutation.
Un émetteur « Je », un destinataire « Tu », une apostrophe « mon fils ».
Un registre didactique et des injonctions : lexique « je t’engage » (1), « j’entends et je veux » (7), modes verbaux : impératif «achève le cycle » (19), « relis » (30), « acquiers » (32). Ordres : « que » + subjonctif : « que je voie en toi un abîme de science » (36). Futur à valeur d’ordre : « tu t’aideras » (16).
Affection : « reviens vers moi avant que je te voie (…) avant de mourir » (55-56)
Indices du genre romanesque : les personnages ont une histoire : « Tu es à Paris » (3). La précision « maintenant que tu deviens homme » (37) inscrit les personnages dans le temps. Et (39-40) « il te faudra (…) apprendre les armes afin de défendre ma maison » préfigure la guerre contre les Dipsodes, qui éclate à partir du chapitre 23.
II) L’enthousiasme et la foi dans l’homme, caractéristiques de l’humanisme :
Les injonctions (vues) montrent la certitude que ce programme est possible.
Or c’est un programme ambitieux ! A l’héritage médiéval scolastique, trivium* + quadrivium*, Rabelais ajoute des connaissances nouvelles, tout en maintenant un apprentissage chevaleresque, et en insistant sur des connaissances religieuses poussées.
NB : le trivium de l’enseignement scolastique : grammaire, rhétorique (art du discours. Cicéron), dialectique (argumentation, raisonnement – Platon)
Le quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie, musique. Constituent les sept arts libéraux de la scolastique médiévale. (Rabelais a suivi ce cursus).
Répétition du mot « progrès » (41), « progresser » (2) : confiance en l’homme.
Une volonté d’exhaustivité (= totalité) : « parfaitement » (7), « connaissance parfaite » (32), « tout » : « sur tous les sujets » (43), « tous les oiseaux du ciel (…) rien ne te soit inconnu » (25 -29) : il est possible de « tout savoir », comme le montre la fin : « acquérir tout le savoir humain » (55)
La métaphore : « que je voie en toi un abîme de science » (36)
III) Le programme éducatif proposé par Rabelais : un exemple de l’idéal pédagogique humaniste.
Quel contenu ?
- les langues anciennes : grec, latin, hébreu, - il ajoute le chaldéen et l’arabe. Comprendre, et savoir écrire en ces langues. Cela recoupe le trivium, grammaire et rhétorique, + la dialectique (référence à Platon). Rabelais lui-même a suivi ce cursus.
- (14) mal traduit : « qu’il n’y ait histoire », donc il s’agit bien de l’histoire, et de s’aider de la cosmographie, c’est-à-dire de la géographie.
- Les « arts libéraux » (par opposition aux arts mécaniques): il reprend ici le quadrivium scientifique, géométrie, arithmétique et musique (considérée comme une science mathématiques, mesures et proportions), et l’astronomie, mais en récusant l’astrologie : exigence de rationalité et de vérité scientifique)
- Le droit, la législation. (Rabelais, fils d’un avocat, a fait aussi du droit) – il faut les mettre en parallèle avec la philosophie, donc comparer les lois et la morale.
- L’histoire naturelle : Rabelais classe les catégories, animaux, végétaux, minéraux…Connaître le monde.
- Médecine : Rabelais a été un médecin reconnu. NB : références aux savants grecs, mais aussi aux médecins juifs et arabes (dans la langue originale). NB : par les livres, mais aussi par l’observation directe : « par de fréquentes dissections » (32) NB : « cet autre monde qu’est l’homme » (32) : microcosme et macrocosme.
- Etudes de théologie : retour aux textes, dans la langue originale, grec pour les Evangiles, hébreu pour l’Ancien Testament.
- Apprendre la chevalerie et le maniement des armes : cet enseignement intellectuel conserve aussi l’idéal chevaleresque du Moyen-Age.
Donc un enseignement très complet, qui ne rejette pas la scolastique médiévale mais se greffe sur elle, en ajoutant l’étude scientifique du monde et de l’homme.
Comment ?
- un enseignement individuel : « tu as ton précepteur Epistémon » (3) – son nom signifie « savant » en grec.
- mais aussi par l’exemple, importance de la société : « Tu es à Paris (..) la ville.. » (5) – le séjour de Pantagruel à Paris couvre la + grande partie du roman, chapitres 7 à 23. Par la fréquentation des « gens lettrés », à Paris et ailleurs (43-44)
- à l’Université : la Sorbonne, le collège fondé en 1253 au sein de l'Université de Paris par Robert de Sorbon, chapelain et confesseur du roi saint Louis. On y enseignait principalement la théologie. Paris devint un grand centre culturel et scientifique en Europe dès le XIIIe siècle avec plus de 20 000 étudiants. En 1469, c'est à la Sorbonne qu'est installée la première imprimerie de France, à l'initiative du roi Louis XI. Rabelais a-t-il étudié à la Sorbonne ? Il écrit Pantagruel quand il est médecin à l’hôtel Dieu de Lyon. Il a passé environ un an à Paris, avant de poursuivre études médecine à Montpellier. La Sorbonne condamnera Pantagruel puis Gargantua, et Rabelais s’en moquera dans Gargantua (« sorbonagres et sorbonicoles »).
- Par des lectures
- Par des observations directes : dissections.
- Par des débats publics, des joutes oratoires – les « disputationes » de l’enseignement médiéval (42-43)
- Par le travail individuel : autonomie ( lire directement les grands auteurs, sans passer par la traduction) , en révisant (« relis » 30), par la rigueur : « fuis la compagnie des gens à qui tu ne veux pas ressembler » (53) et le respect des maîtres : « révère tes précepteurs » (52).
- En apprenant par cœur « qu’il n’y ait pas d’étude que tu ne gardes en a mémoire » (15), et aussi en réfléchissant : « du droit (…) en parallèle avec la philosophie » (22-23).
Ce programme d’instruction est un exemple de l’idéal humaniste : « tout savoir », le modèle étant Erasme.
IV) Une argumentation : les buts de cette éducation humaniste.
Quels sont les buts de cette éducation idéale, et comment sont-ils justifiés ?
L’organisation de la lettre est révélatrice : d’abord connaître les langues anciennes, pour pouvoir lire dans le texte les savants tant grecs, latins, que juifs et arabes. Rabelais ajoute au cursus médiéval des connaissances nouvelles. Il termine, avec « Mais », par une correction essentielle : toute cette instruction est au service d’une sagesse et de la foi chrétienne, et il l’argumente.
Gargantua explique et justifie ses injonctions : « comme le veut Quintilien » (9), argument d’autorité.
Apprendre l’hébreu, le chaldéen, l’arabe : « pour les saintes Lettres » (10), donc dans un but religieux. Pas d’astrologie, car c’est « supercherie et futilités » (21) (argument de la raison) . Apprendre la chevalerie « pour défendre ma maison et secourir nos amis » : argument d’ordre familial et moral.
Et surtout : il faut « servir, aimer et craindre Dieu » (47) et Gargantua le justifie : « parce que selon le sage Salomon (argument d’autorité) Sagesse n’entre pas en âme malveillante » (45-46) : cela montre bien que cet idéal de savoir a aussi pour but un idéal de sagesse. Philosophie héritée de l’Antiquité, mais appuyée sur un argument chrétien : « car cette vie est transitoire, mais la parole de Dieu demeure éternellement » (50-51). Or la « malveillance » empêche toute sagesse.
Les buts : - savoir
- réfléchir sur ce savoir
- une formation morale : progresser, se former. Les injonctions chrétiennes. Foi, charité, secourir…
- un but pratique : agir, être un bon roi.
Il s’agit d’une éducation idéale, comme le montre bien le lieu d’émission de la lettre : « d’Utopie ».
VI) En quoi ce texte est-il caractéristique de l’humanisme ?
L’appétit de savoir, curiosité envers le monde.
Une ouverture culturelle : juifs, arabes…
Référence constante à l’antiquité, mais aussi aux savants arabes. (l’expansion des sciences et des arts dans le monde arabe du VI° au XIII° siècle. La chute de Constantinople en 1453 a provoqué un afflux de manuscrits et de savants en Europe). Platon, Cicéron Quintilien, apparaissent comme des autorités intellectuelles.
Retour aux textes, sans passer par la traduction en latin. Le grec.
Continuité avec la scolastique, mais rejet de la superstition.
Evangélisme : respecter les Ecritures, les lire directement. Respecter un enseignement moral, chrétien.
La citation célèbre « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » a deux sens : « conscience » = savoir ce que l’on apprend, en avoir conscience, réfléchir. Mais surtout, « conscience morale », l’instruction doit aboutir à une sagesse. L’instruction est une formation.
L’humanisme comme formation totale de l’individu et connaissance totale de l’homme, âme et corps. Et par la fréquentation des autres hommes. Une croyance en l’homme, et dans ses capacités de progrès.