Rousseau : la quête du bonheur par la liberté
Extrait du bulletin officiel : "L'objectif est de permettre aux élèves d'accéder à la réflexion anthropologique dont sont porteurs les genres de l'argumentation afin de les conduire à réfléchir sur leur propre condition. On contribue ainsi à donner sens et substance à une formation véritablement humaniste. Dans cette perspective, on s'attache à mettre en évidence les liens qui se nouent entre les idées, les formes qui les incarnent et le contexte dans lequel elles naissent. Le fait d'aborder les œuvres et les textes étudiés en s'interrogeant sur la question de l'homme ouvre à leur étude des entrées concrètes et permet de prendre en compte des aspects divers, d'ordre politique, social, éthique, religieux, scientifique par exemple, mais aussi de les examiner dans leur dimension proprement littéraire, associant expression, représentation et création. corpus: Un texte long ou un ensemble de textes ayant une forte unité, du XVIème siècle à nos jours, au choix du professeur, étudié dans sa composition et son développement aussi bien que dans sa rédaction : essai, discours, pamphlet, recueil de maximes ou de pensées, de fables ou de satires, extraits de correspondances d'écrivains, texte narratif à visée persuasive, etc."
source: Jean-Jacques Rousseau, VOLUME 5. Emile, ou de l'éducation, tome II, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 5, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012
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1ere : La question de l'homme dans les genres de l'argumentation
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Sommaire
1ere : La question de l'homme dans les genres de l'argumentation.................................... 1
Lectures analytiques : Extraits de Émile ou de l’éducation............................................................. 2
1. Se préparer à la perte................................................................................................................. 2
2 : Les nobles, au travail!................................................................................................................ 3
3 : Emile a compris la leçon d'indépendance................................................................................ 4
4. Un nouveau mode de vie : aurea mediocritas:......................................................................... 5
1 la correspondance de J-J Rousseau. Lettre de Rousseau au roi de Prusse, octobre 1762 : l'indépendance en acte 6
2. Distance par rapport au pouvoir : lettre au comte de Lastic................................................... 6
Textes complémentaires:............................................................................................................... 6
3. L'esquisse d'un nouveau bonheur : Lettre à Malesherbes :.................................................... 7
4.la sensibilité naturelle de l'homme............................................................................................ 8
5. Cinquième Promenade solitaire des Rêveries........................................................................... 8
6. Contre la dispersion :.................................................................................................................. 9
7. art de vivre : adaptation............................................................................................................. 9
8. Volonté générale et intérêt particulier..........................................
Sitographie:..................................................................................................................................... 10
Vous vous fiez à l’ordre actuel de la société sans songer que cet ordre est sujet à des révolutions inévitables, et qu’il vous est impossible de prévoir ni de prévenir celle qui peut regarder vos enfants. Le grand devient petit, le riche devient pauvre, le monarque devient sujet: les coups du sort sont-ils si rares que vous puissiez compter d’en être exempt? Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. Qui peut vous répondre de ce que vous deviendrez alors? Tout ce qu’ont fait les hommes, les hommes peuvent le détruire: il n’y a de caractères ineffaçables que ceux qu’imprime la nature, et la nature ne fait ni princes, ni riches, ni grands seigneurs. Que fera donc dans la bassesse ce satrape que vous n’avez élevé que pour la grandeur? Que fera, dans la pauvreté, ce publicain qui ne sait vivre que d’or? Que fera, dépourvu de tout, ce fastueux imbécile qui ne sait point user de lui-même, et ne met son être que dans ce qui est étranger à lui? Heureux celui qui sait quitter alors l’état qui le quitte, et rester homme en dépit du sort! Qu’on loue tant qu’on voudra ce roi vaincu qui veut s’enterrer en furieux sous les débris de son trône; moi je le méprise; je vois qu’il n’existe que par sa couronne, et qu’il n’est rien du tout s’il n’est roi: mais celui qui la perd et s’en passe est alors au-dessus d’elle. Du rang de roi, qu’un lâche, un méchant, un fou peut remplir comme un autre, il monte à l’état d’homme, que si peu d’hommes savent remplir. Alors il triomphe de la fortune, il la brave; il ne doit rien qu’à lui seul; et, quand il ne lui reste à montrer que lui, il n’est point nul; il est quelque chose. Oui, j’aime mieux cent fois le roi de Syracuse maître d’école à Corinthe, et le roi de Macédoine greffier à Rome, qu’un malheureux Tarquin, ne sachant que devenir s’il ne règne pas, que l’héritier du possesseur de trois royaumes, jouet de quiconque ose insulter à sa misère, errant de cour en cour, cherchant partout des secours, et trouvant partout des affronts, faute de savoir faire autre chose qu’un métier qui n’est plus en son pouvoir.
Rousseau, Émile ou de l’éducation, §684, livre V
Vocabulaire:
- Un satrape (du grec σατράπης / satrápês, lui-même adapté de l'iranien xšaθrapā, du vieux perse xšaθrapāvan, signifiant « protecteur du pouvoir [royaume] ») est le gouverneur d'une satrapie, c'est-à-dire une division administrative de l'empire achéménide (Perse).
- un publicain dans l’administration romaine était un homme d’affaire, appartenant généralement à l’ordre équestre, qui par contrat avec l’autorité civile était autorisé à collecter les taxes en son nom. Ils formaient des sociétés civiles à but lucratif qui intervenaient dans les domaines économiques et fiscaux pendant la période romaine, selon des contrats passés avec l'État.
Notes:
1. D'après l'historien romain Plutarque (1er s ap.JC, auteur de Vie des hommes illustres, d'influence stoicienne et épicurienne), Persée, ayant perdu la Macédoine contre Paul-Emile, passa le reste de sa vie dans l'oubli de tous, seul une de ses fils, Alexandre, qui s'était mis à exercer les fonctions de greffier auprès des magistrats Romains, lui survécut. Ce livre historique, lu avec avidité par Rousseau depuis son adolescence, a aussi inspiré les penseurs et révolutionnaires du XVIIIè s.
2. Cicéron, dans les Tusculanes, par son stoicicisme aurait pu aussi inspirer Rousseau.
3. Comparer avec un texte de l'Évangile selon Matthieu (5, 3-12), appelé "Les béatitudes: "
Voyant les foules, il gravit la montagne, et quand il fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui. Et prenant la parole, il les enseignait en disant : Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux. Heureux les affligés, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils posséderont la terre.Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.. Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux. (..)
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L’homme et le citoyen, quel qu’il soit, n’a d’autre bien à mettre dans la société que lui-même; tous ses autres biens y sont malgré lui (...). Ainsi la dette sociale lui reste tout entière tant qu’il ne paye que de son bien [1]. Mais mon père, en le gagnant, a servi la société... Soit, il a payé sa dette, mais non pas la vôtre. Vous devez plus aux autres que si vous fussiez né sans bien, puisque vous êtes né favorisé. Il n’est point juste que ce qu’un homme a fait pour la société en décharge un autre de ce qu’il lui doit; car chacun, se devant tout entier, ne peut payer que pour lui, et nul père ne peut transmettre à son fils le droit d’être inutile à ses semblables; or, c’est pourtant ce qu’il fait, selon vous, en lui transmettant ses richesses, qui sont la preuve et le prix du travail. Celui qui mange dans l’oisiveté ce qu’il n’a pas gagné lui-même le vole; et un rentier que l’Etat paye pour ne rien faire ne diffère guère, à mes yeux, d’un brigand qui vit aux dépens des passants. Hors de la société, l’homme isolé, ne devant rien à personne, a droit de vivre comme il lui plaît; mais dans la société, où il vit nécessairement aux dépens des autres, il leur doit en travail le prix de son entretien; cela est sans exception. Travailler est donc un devoir indispensable à l’homme social. Riche ou pauvre, puissant ou faible, tout citoyen oisif est un fripon.
Or, de toutes les occupations qui peuvent fournir la subsistance à l’homme, celle qui le rapproche le plus de l’état de nature est le travail des mains: de toutes les conditions, la plus indépendante de la fortune et des hommes est celle de l’artisan.
J-J Rousseau, Émile ou de l’éducation § 686-7, livre V
document iconograohique :la critique des 3 ordres, la fiermière en corvé:"il faut espérer que ce jeu la finia bientot, 1789
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«Je me souviens que mes biens furent la cause de nos recherches. Vous prouviez très solidement que je ne pouvais garder à la fois ma richesse et ma liberté; mais quand vous vouliez que je fusse à la fois libre et sans besoins, vous vouliez deux choses incompatibles, car je ne saurais me tirer de la dépendance des hommes quʼen rentrant sous celle de la nature. Que ferai- je donc avec la fortune que mes parents mʼont laissée? Je commencerai par nʼen point dépendre; je relâcherai tous les liens qui mʼy attachent. Si on me la laisse, elle me restera; si on me lʼôte, on ne mʼentraînera point avec elle. Je ne me tourmenterai point pour la retenir, mais je resterai ferme à ma place. Riche ou pauvre, je serai libre. Je ne le serai point seulement en tel pays, en telle contrée; je le serai par toute la terre. Pour moi toutes les chaînes de lʼopinion sont brisées; je ne connais que celle de la nécessité. Jʼappris à les porter dès ma naissance, et je les porterai jusquʼà la mort, car je suis homme; et pourquoi ne saurais-je pas les porter étant libre, puisque étant esclave il les faudroit bien porter encore, et celle de lʼesclavage pour surcroît?
Que mʼimporte ma condition sur la terre? que mʼimporte où que je sois? Partout où il y a des hommes, je suis chez mes frères; partout où il nʼy en a pas, je suis chez moi. Tant que je pourrai rester indépendant et riche, jʼai du bien pour vivre, et je vivrai. Quand mon bien mʼassujettira, je lʼabandonnerai sans peine; jʼai des bras pour travailler, et je vivrai. Quand mes bras me manqueront, je vivrai si lʼon me nourrit, je mourrai si lʼon mʼabandonne; je mourrai bien aussi quoiquʼon ne mʼabandonne pas; car la mort nʼest pas une peine de la pauvreté, mais une loi de la nature. Dans quelque temps que la mort vienne, je la défie, elle ne me surprendra jamais faisant des préparatifs pour vivre; elle ne mʼempêchera jamais dʼavoir vécu.»
«Voilà, mon père, à quoi je me fixe. Si jʼétois sans passions, je serais, dans mon état dʼhomme, indépendant comme Dieu même, puisque, ne voulant que ce qui est, je nʼaurois jamais à lutter contre la destinée. Au moins je nʼai quʼune chaîne, cʼest la seule que je porterai jamais, et je puis mʼen glorifier. Venez donc, donnez-moi Sophie, et je suis libre.»
Rousseau, Émile ou de l’éducation § 432, livre V
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Questions : 1. En quoi consiste l'indépendance et la liberté dans ce texte? 2. De quoi les hommes restent dépendants? 3. Quelles sont les formules qui visent à dédramatiser les risques de la liberté? 4. Commentez les temps verbaux. 5. Relevez: les parallélismes de construction, les dérivations, les prop sub de condition, les asyndètes, les antithèses les questions rhétoriques
ci- contre: Le fils de Napoléon et de Marie-Louise d'Autriche, l'aiglon, avait dans Schönnbrun son portrait en jardinier, en hommage à l'Emile qui préconisait l'apprentissage d'un métier manuel pour tous.
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Encore un coup, les plaisirs exclusifs sont la mort du plaisir. Les vrais amusements
sont ceux qu'on partage avec le peuple ; ceux qu'on veut avoir à soi seul, on ne les a plus. Si les murs que j'élève autour de mon parc m'en font une triste clôture, je n'ai fait à grands
frais que m'ôter le plaisir de la promenade : me voilà forcé de l'aller chercher au loin. Le démon de la propriété infecte tout ce qu'il touche. Un riche veut être partout le maître et ne se
trouve bien qu'où il ne l'est pas : il est forcé de se fuir toujours. Pour moi, je ferai là-dessus dans ma richesse, ce que j'ai fait dans ma pauvreté. Plus riche maintenant du bien des
autres que je ne serai jamais du mien, je m'empare de tout ce qui me convient dans mon voisinage : il n'y a pas de conquérant plus déterminé que moi ; j'usurpe sur les princes mêmes; je
m'accommode sans distinction de tous les terrains ouverts qui me plaisent; je leur donne des noms; je fais de l'un mon parc, de l'autre ma terrasse, et m'en voilà le maître; dès lors, je m'y
promène impunément ; j'y reviens souvent pour maintenir la possession ; j'use autant que je veux le sol à force d'y marcher ; et l'on ne me persuadera jamais que le titulaire du fonds que je
m'approprie tire plus d'usage de l'argent qu'il lui produit que j'en tire de son terrain. Que si l'on vient à me vexer par des fossés, par des haies, peu m'importe ; je prends mon parc sur
mes épaules, et je vais le poser ailleurs ; les emplacements ne manquent pas aux environs, et j'aurai longtemps à piller mes voisins avant de manquer d'asile.
Voilà quelque essai du vrai goût dans le choix des loisirs agréables: voilà dans quel esprit on jouit; tout le reste nʼest quʼillusion, chimère, sotte vanité. Quiconque sʼécartera de ces règles, quelque riche quʼil puisse être, mangera son or en fumier, et ne connaîtra jamais le prix de la vie.On mʼobjectera sans doute que de tels amusements sont à la portée de tous les hommes, et quʼon nʼa pas besoin dʼêtre riche pour les goûter. Cʼest précisément à quoi jʼen voulois venir. On a du plaisir quand on en veut avoir: cʼest lʼopinion seule qui rend tout difficile, qui chasse le bonheur devant nous; et il est cent fois plus aisé dʼêtre heureux que de le paraître. Lʼhomme de goût et vraiment voluptueux nʼa que faire de richesse; il lui suffit dʼêtre libre et maître de lui. Quiconque jouit de la santé et ne manque pas du nécessaire, sʼil arrache de son coeur les biens de lʼopinion, est assez riche; cʼest lʼaurea mediocritas dʼHorace. Gens à coffres-forts, cherchez donc quelque autre emploi de votre opulence, car pour le plaisir elle nʼest bonne à rien. (...) Adieu donc, Paris, ville célèbre, ville de bruit, de fumée et de boue, où les femmes ne croient plus à lʼhonneur ni les hommes à la vertu. Adieu, Paris: nous cherchons lʼamour, le bonheur, lʼinnocence; nous ne serons jamais assez loin de toi.
Rousseau, Émile ou de l’éducation § 191, fin du livre IV
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Quels temps croiriez-vous, Monsieur, que je me rappelle le plus souvent et le plus volontiers dans mes rêves? Ce ne sont point les plaisirs de ma jeunesse, ils furent trop rares, trop mêlés d'amertumes, et sont déjà trop loin de moi. Ce sont ceux de ma retraite, ce sont mes promenades solitaires, ce sont ces jours rapides mais délicieux que j'ai passés tout entiers avec moi seul, avec ma bonne et simple gouvernante, avec mon chien bien-aimé, ma vieille chatte, avec les oiseaux de la campagne et les biches de la forêt, avec la nature entière et son inconcevable auteur. En me levant avant le soleil pour aller voir, contempler son lever dans mon jardin, quand je voyais commencer une belle journée, mon premier souhait était que ni lettres ni visites n'en vinssent troubler le charme. Après avoir donné la matinée à divers soins que je remplissais tous avec plaisir parce que je pouvais les remettre à un autre temps, je me hâtais de dîner pour échapper aux importuns et me ménager un plus long après-midi. Avant une heure, même les jours les plus ardents, je partais par le grand soleil avec le fidèle Achate, pressant le pas dans la crainte que quelqu'un ne vînt s'emparer de moi avant que j'eusse pu m'esquiver; mais quand une fois j'avais pu doubler un certain coin, avec quel battement de coeur, avec quel pétillement de joie je commençais à respirer en me sentant sauvé, en me disant : " Me voilà maître de moi pour le reste de ce jour !
" J'allais alors d'un pas plus tranquille chercher quelque lieu sauvage dans la forêt, quelque lieu désert où rien ne montrant la main des hommes n'annonçât la servitude et la domination, quelque asile où je pusse croire avoir pénétré le premier et où nul tiers importun ne vînt s'interposer entre la nature et moi. C'était là qu'elle semblait déployer à mes yeux une magnificence toujours nouvelle. L'or des genêts et la pourpre des bruyères frappaient mes yeux d'un luxe qui touchait mon cœur, la majesté des arbres qui me couvraient de leur ombre, la délicatesse des arbustes qui m'environnaient, l'étonnante variété des herbes et des fleurs que je foulais sous mes pieds tenaient mon esprit dans une alternative continuelle d'observation et d'admiration : le concours de tant d'objets intéressants qui se disputaient mon attention, m’attirant sans cesse de l'un à l'autre, favorisait mon humeur rêveuse et paresseuse, et me faisait souvent redire en moi-même : "Non, Salomon dans toute sa gloire ne fut jamais vêtu comme l'un d'eux." Mon imagination ne laissait pas longtemps déserte la terre ainsi parée. Je la peuplais bientôt d'êtres selon mon cœur, et, chassant bien loin l'opinion, les préjugés, toutes les passions factices, je transportais dans les asiles de la nature des hommes dignes de les habiter. Je m'en formais une société charmante dont je ne me sentais pas indigne. Je me faisais un siècle d'or à ma fantaisie et, remplissant ces beaux jours de toutes les scènes de ma vie qui m'avaient laissé de doux souvenirs, et de toutes celles que mon cœur pouvait désirer encore, je m'attendrissais jusqu'aux larmes sur les vrais plaisirs de l'humanité, plaisirs si délicieux, si purs, et qui sont désormais si loin des hommes. Oh ! si dans ces moments quelque idée de Paris, de mon siècle et de ma petite gloriole d'auteur venait troubler mes rêveries, avec quel dédain je la chassais à l'instant pour me livrer sans distraction aux sentiments exquis dont mon âme était pleine !
4.la sensibilité naturelle de l'homme"Nous naissons sensibles, et, dès notre naissance, nous sommes affectés de diverses manières par les objets qui nous environnent. Sitôt que nous avons pour ainsi dire la conscience de nos sensations, nous sommes disposés à rechercher ou à fuir les objets qui les produisent, d'abord, selon qu'elles nous sont agréables ou déplaisantes, puis, selon la convenance ou disconvenance que nous trouvons entre nous et ces objets, et enfin, selon les jugements que nous en portons sur l'idée de bonheur ou de perfection que la raison nous donne. Ces dispositions s'étendent et s'affermissent à mesure que nous devenons plus sensibles et plus éclairés; mais, contraintes par nos habitudes, elles s'altèrent plus ou moins par nos opinions. Avant cette altération, elles sont ce que j'appelle en nous la nature."
http://museejjrousseau.montmorency.fr/fr/ressource/dossiers-pedagogiques/diaporamas |
5. Cinquième Promenade solitaire des RêveriesQuand le lac agité ne me permettait pas la navigation je passais mon après-midi à parcourir l'île en herborisant à droite et à gauche, m'asseyant tantôt dans les réduits les plus riants et les plus solitaires pour y rêver à mon aise, tantôt sur les terrasses et les tertres, pour parcourir des yeux le superbe et ravissant coup d'œil du lac et de ses rivages couronnés d'un côté par des montagnes prochaines, et de l'autre élargis en riches et fertiles plaines dans lesquelles la vue s'étendait jusqu'aux montagnes bleuâtres plus éloignées qui la bornaient. Quand le soir approchait je descendais des cimes de l'île et j'allais volontiers m'asseoir au bord du lac, sur la grève, dans quelque asile caché; là le bruit des vagues et l'agitation de l'eau fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait souvent sans que je m'en fusse aperçu. Le flux et reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte réflexion sur l'instabilité des choses de ce monde dont la surface des eaux m'offrait l'image: mais bientôt ces impressions légères s'effaçaient dans l'uniformité du mouvement continu qui me berçait, et qui sans aucun concours actif de mon âme ne laissait pas de m'attacher au point qu'appelé par l'heure et par le signal convenu je ne pouvais m'arracher de là sans effort.
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6. Contre la dispersion :Tout est bien sortant des mains de l'Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme. Il force une terre à nourrir les productions d'une autre, un arbre à porter les fruits d'un autre; il mêle et confond les climats, les éléments, les saisons; il mutile son chien, son cheval, son esclave; il bouleverse tout, il défigure tout, il aime la difformité, les monstres; il ne veut rien tel que l'a fait la nature, pas même l'homme; il le faut dresser pour lui, comme un cheval de manière; il le faut contourner à sa mode, comme un arbre de son jardin." N’allez donc pas vous figurer qu’en étendant vos facultés vous étendez vos forces ; vous les diminuez, au contraire, si votre orgueil s’étend plus qu’elles. Mesurons le rayon de nôtre sphére et restons au centre comme l’insecte au milieu de sa toile, nous nous suffirons toujours à nous-mêmes."
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7. Comment vivre comme un roi ?
"Comme je serois peuple avec le peuple, je serais campagnard aux champs; et quand je parlerais dʼagriculture, le paysan ne se moqueroit pas de moi. Je nʼirois pas me bâtir une ville en campagne, et mettre au fond dʼune province les Tuileries devant mon appartement. Sur le penchant de quelque agréable colline bien ombragée, jʼaurois une petite maison rustique, une maison blanche avec des contrevents verts; (...). Jʼaurais pour cour une basse-cour, et pour écurie une étable avec des vaches, pour avoir du laitage que jʼaime beaucoup. Jʼaurais un potager pour jardin, & pour parc un joli verger semblable à celui dont il sera parlé ci-après. Les fruits, à la discrétion des promeneurs, ne seroient ni comptés ni cueillis par mon jardinier; et mon avare magnificence nʼétalerait point aux yeux des espaliers superbes auxquels à peine on osât toucher. Or, cette petite prodigalité serait peu coûteuse, parce que jʼaurais choisi mon asile dans quelque province éloignée où lʼon voit peu dʼargent et beaucoup de denrées, et où règnent lʼabondance & la pauvreté. [187] Là, je rassemblerois une société, plus choisie que nombreuse, dʼamis aimant le plaisir et sʼy connaissant, de femmes qui pussent sortir de leur fauteuil et se prêter aux jeux champêtres, prendre quelquefois, au lieu de la navette ety des cartes la ligne, les gluaux, le râteau des faneuses, et le panier des vendangeurs. Là, tous les airs de la ville seroient oubliés, et devenus villageois au village, nous nous trouverions livrés à des foules dʼamusements divers qui ne nous donneraient chaque soir que lʼembarras du choix pour le lendemain. Lʼexercice et la vie active nous feraient un nouvel estomac & de nouveaux goûts. Tous nos repas seraient des festins, où lʼabondance plairait plus que la délicatesse. La gaieté, les travaux rustiques, les folâtres jeux sont les premiers cuisiniers du monde, et
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8. Volonté générale et intérêt particulier
Lʼessence de la souveraineté consistant dans la volonté générale, on ne voit point non plus comment on peut sʼassurer quʼune volonté particulière sera toujours dʼaccord avec cette volonté générale. On doit bien plutôt présumer quʼelle y sera souvent contraire; car lʼintérêt privé tend toujours aux préférences, et lʼintérêt plic à lʼégalité. Emile, § 412 9. le contrat social Les particuliers ne sʼétant soumis quʼau souverain, lʼautorité souveraine nʼétant autre chose que la volonté générale, nous verrons comment chaque homme, obéissant au souverain, nʼobéit quʼà lui-même, et comment on est plus libre dans le pacte social que dans lʼétat de nature. (Emile, § 410)
Sitographie:
· http://www.luc-vincenti.fr/conferences/rous_fete_bres.html · www.ressourcesjeunesse.fr/IMG/pdf/citoyennete_pedagogie.pdf · http://oeil.chambery.pagesperso-orange.fr/Coll%20JJR%20Interv%20Lebreton.html · classiques.uqac.ca/classiques/Rousseau.../emile/emile_de_education_4.pdf · · ·
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